Bourguiba « la voie de la confiance » févier 1956

La voie de la confiance

Par Habib BOURGUIBA

(Express 5 févier 1956)

Au moment où les négociations entre les gouvernements français et tunisien arrivent dans leur dernière phase, le leader du Néo- Destour, Habib Bourguiba, a confié à l’Express le texte que nous publions ici.

Chaque fois que les hommes réussissent par la négociation, la discussion, la bonne volonté à trouver une solution au conflit entre les intérêts puissants des nations, le monde entier à l’est et à l’ouest, devrait respecter un instant de silence et de méditation pour en tirer un enseignement, et y puiser une inspiration nouvelle.

Entre la Tunisie et la France tout n’a pas été résolu, car jamais tout ne peut l’être. L’évolution est dans la nature même des peuples. Mais la preuve a été faite que es difficultés les plus graves et les convictions divergentes peuvent être examinées loyalement, avec sang-froid, par des hommes sérieux et honnêtes et qu’au bout de leur confrontation c’est l’espoir, et non le cynisme, qui se trouve justifié.

Le destin du peuple tunisien- il y a près de vingt-cinq ans que le vis, jour après jour, dans les campagnes et les villes de mon pays, dans la solitude des prisons, dans la chaleur humaine des congrès.

Vingt-cinq années, marquées par de luttes, des répressions, des éclaircies, des rechutes, et toujours par une volonté plus ardente, mieux organisée, de notre peuple vers son émancipation politique que certains persistent encore à confondre avec l’idée de sécession, ou d’une régression de l’influence française, alors qu’elle doit être, au contraire, une véritable association un renforcement et un progrès, et même la pierre angulaire d’un grand ensemble franco-africain.

Et voici maintenant qu’avec la France nous trouvons une voie de confiance et d’amitié pour la poursuite de notre destin. C’était l’espoir auquel nous n’avions jamais renoncé, mais auquel nous n’osions plus croire. Voici bientôt le moment, que nous souhaitions de toute notre âme, où nous pourrons enfin consacrer cette énergie tenue vers la lutte et les combats à la tâche magnifique de construire, dans la paix, la nation tunisienne ; où nous pourrons donner la mesure de notre patriotisme et de notre dévouement à la chose publique autrement que dans les prisons et les camps.

Au nom de notre peuple je rends hommage à ce gouvernement français qui aura su comprendre nos aspirations et nous permettre de les concevoir avec la France, grâce à la France, et non plus contre elle.

Quels que soient maintenant le cours des évènements, les vicissitudes de la politique, les difficultés nouvelles qui peuvent surgir et même les retours possibles aux erreurs du passé, nous savons désormais qu’il y a en France des hommes qui justifient notre confiance dans le devenir des rapports franco-tunisiens ; et l’espoir ne pourra que croître.

A ces hommes, nous disons que le peuple tunisien respectera ses engagements et que le destin de notre pays ne poursuivra aux côtés de celui de la France.

Déjà la bonne volonté des négociateurs, à Paris, a fait lever un vent nouveau en Tunisie. Nos amis français, qui participent là-bas à l’essor de notre pays, ont compris qu’une ère de travail fécond, en commun, pourrait s’ouvrir. Le courage des hommes d’Etat sera relayé par l’ardeur des fermiers et l’audace des entrepreneurs. Nous allons faire une grande nation.

Contre les forces aveugles de la méfiance et de la réaction, contre l’égoïsme des intérêts, nous n’avions pas fini de nous battre. Mais nous avons la preuve que la victoire finale appartiendra à ceux qui respectent les hommes et qui aiment le peuple.

 

L’express N°89 du 5 février 1956

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