Des bidonvilles à Carthage
Par Abdelaziz Barouhi
Jeune Afrique du 11/01/1984
Tunis, centre ville, mardi 3 janvier, 12h30. Un nuage de fumée noire cache le ciel. Des bombes fumigènes et lacrymogènes éclatant au milieu de plusieurs centaines de manifestants. Des jeunes, beaucoup de femmes. A la faveur de la fumée, des cars de police foncent sur la foule qui s’enfuit dans les rues adjacentes pour reprendre le cortège un peu plus loin aux cris de : « Régime assassin, c’est là ta politique d’ouverture ! » scandent-ils entre les slogans irrévérencieux à l’égard du Premier ministre. Les facultés se sont mises en grève dès lundi.
Mardi matin, la fronde s’étend à la quasi-totalité des lycées, même à ceux des quartiers « riches » comme El Menzah. Les forces de l’ordre interviennent au collège Sadiki. Les élèves se déversent dehors et tentent de se rassembler à la casbah, non loin de la place du Gouvernement. Ils sont dispersés.
Sur un seul axe routier, nous avons dénombré, à 9 heures, une trentaine de bus saccagés. A partir de 11h30, il n’est reste plus un dans les rues. La ville est paralysée. A 13 heures, des blindés et des chiens de la brigade anti-émeutes apparaissent dans le centre ville. Par petits groupes, les jeunes, souvent des gosses, continuent à manifester. Un car de police est brûlé rue du Général-de-Gaulle, où des scènes de vandalisme sont signalées.
A 14h15, des chasseurs de l’armée survolent Tunis à plusieurs reprises. Des blindés prennent position dans la capitale. A la Mars, des ouvrières du textile débrayent en criant : « Bourguiba, tu es généreux, laisse-nous le pain à 80 millimes ! » Des milliers de lycéens de La Marsa et de Carthage (où se trouve la résidence du président de la République) se rassemblent pour manifester. Le soir, la situation se dégrade dans cette banlieue résidentielle où des bandes de jeunes mettent le feu sur leur passage. A El Menzah, après le pillage d’une grande surface, des jeunes venus des bidonvilles continuent à saccager et à terroriser les habitants barricadés dans leurs maisons.
Les émeutes se poursuivent aussi à la périphérie populaire de Tunis, notamment à El Ouardia. Des milliers de manifestants renversent les véhicules et dressent des barricades sur l’autoroute, bloquant le trafic entre Tunis et le sud du pays. Enfin de journée, le centre ville offre un spectacle de désolation. Seule une voiture des pompes funèbres poursuit son travail quotidien.