Bourguiba nous quitte
« La Croix » du 7 avril 2000
Depuis des heures, ils attendaient de voir pour la dernière fois le « Combattant suprême ». Mais lorsque le cortège funèbre est apparu, le choc a été immense : devant le cercueil d’Habib Bourguiba recouvert du drapeau rouge et blanc de la Tunisie, se trouvaient cinq « ninjas », soldats d’élite tunisiens, mitraillette, gilet pare-balles et cagoule noire… Le ton était donné : loin de la ferveur populaire de l’enterrement d’Hassen II du Maroc l’été dernier, les obsèques du père de l’indépendance tunisienne ont été le révélateur de la peur du régime. Des funérailles escamotées, manipulées, qui ont semé la frustration dans la population, est suscité la colère et l’amertume de la famille de l’ancien président. Les quarante-huit heures entre le décès, jeudi, du premier président, samedi, dans le mausolée familial que Bourguiba avait lui-même fait construire dans sa ville natale de Monastir, ont été marquées par ce malaise. Gérées par le régime actuel – issu du « coup d’Erat médical » qui avait écarté Bourguiba du pouvoir en 1987 – comme un événement à haut risque.
L’organisation de ces funérailles a laissé un goût amer auprès de la famille du défunt. « Ils ont voulu récupérer le macchabée », lâche une source proche de la famille, pour qui la présence au premier rang, près de Ben Ali, de Habib Bourguiba junior, le fils de l’ancien président, n’a été qu’un « faire-valoir ». La famille a très mal vécu plusieurs symboles cruels, comme le nom de l’avion de Tunisair qui a emmené le cercueil de Bourguiba de Monastir à Tunis vendredi : 7 novembre, la date du coup d’Etat ! Et, samedi, par souci de prendre un raccourci, le cortège a emprunté un chemin vers le cimetière que la tradition de Monastir réservait aux « morts honteux », comme les suicidés… « Les Monastiriens ne pardonneront jamais », lâche un proche.
« Les Tunisiens ne pardonneront jamais », renchérit un opposant à Ben Ali, pourtant très critique vis-à-vis du caractère autocratique de Bourguiba lorsqu’il était au pouvoir.
Orateur né, il s’impose aisément : « La théâtralisation par Bourguiba de son action politique et sa maîtrise du verbe, caractéristique de son personnage, ont été des éléments essentiels de son succès », témoigne Tahar Belkhodja, l’un de ses anciens collaborateurs.
Le président Jacques Chirac a immédiatement exprimé hier sa « grande émotion » et sa « peine ». « Devant cette page d’histoire qui se tourne, le peuple françaises se sent proche du peuple tunisien et mesure la communauté des destins et la force de l’amitié qui les unissent », a écrit le chef de l’Etat français au président Ben Ali, évoquant le souvenir « du rayonnement de l’homme de courage et de vision qui incarna la lutte pour l’indépendance, la dignité de son peuple et les valeurs de son pays ».
Il vénérait la France humaniste et combattait celle des capitalistes
Toute sa vie et même en plein combat pour l’indépendance, il gardera une tendresse pour la France humaniste, cette France, pays des droits de l’homme, qu’il vénère. La France qu’il combattait, disait-il alors, c’est celle qui opprime, « celle des capitalistes et des colons extrémistes ».
Il promulgue le code de la famille, très en avance encore aujourd’hui par rapport à ce qui existe dans l’ensemble du monde arabe : droit au divorce, égalité de deux époux, refus de la polygamie.