Rapport de police Arrivée de Salah Ben Youssef à Tunis

Tunis, le 14 septembre 1955

 

Rapport de police

Arrivée de Salah Ben Youssef à Tunis

 

Le 13 septembre à 13h20, M. Salah Ben Youssef Secrétaire général du Néo-destour, est arrivé à Tunis, venant de Rome, avec son épouse et ses deux filles.

Il a été salué à El Aouina par les Princes Chadly et M’hamed, le Général Tahar Maoui, représentant S. A. Le Bey, le Président Tahar Ben Ammar et les Ministres du gouvernement tunisien, M. Habib Bourguiba et les responsables du Bureau Politique, les délégations des Fédérations Néo-Destouriennes de l’intérieur, ainsi que les représentants des diverses organisations nationales.

Une foule évaluée à 4000 personnes environ s’était rendue à l’aérodrome pour accueillir le Secrétaire général du Néo-Destour. Elle a été canalisée par un service d’ordre, composé de scouts et de jeunes néo-destouriens en tenue, qui avait fait dégager l’aérogare depuis le début de la matinée. Le long de la route menant à El Aouina et aux abords de l’aérodrome stationnaient de nombreux tunisiens, hommes, femmes et enfants, scandant de temps à autre « Vive Ben Youssef – Vive Bourguiba ». Quelques incidents se sont produits dans la matinée entre les automobilistes et de jeunes voyous qui ont jeté des pierres sur les voitures, à hauteur du passage à niveau de l’Avenue Gambetta.

Un chauffeur de camion a été blessé au visage.

Quelques instants avant l’arrivée de l’avion, la foule à littéralement débordé le service d’ordre et la pénétré dans l’enceinte de l’aérogare.

A sa descente d’avion Me. Salah Ben Youssef a donné l’accolade aux Princes, à Me. Bourguiba, à plusieurs personnalités tunisiennes ainsi qu’aux ex-fellagahs, Sassi Lassoued et Lazhar Chrati. (On a pu remarquer que le Secrétaire Général a été beaucoup plus expansif avec les Princes qu’avec le Président du Néo-Destour).

A ce moment là, la foule a envahi l’aire d’atterrissage aux cris de « Ben Youssef – Bourguiba », et a tenté de porter le Secrétaire Général en triomphe. Celui-ci, paraissent contrarié par le désordre, s’y est catégoriquement opposé et a même repoussé de la main un jeune tunisien qui voulait le coiffer d’un béret de scout et lui nouer un foulard vert au cou.

Encadré par des jeunes destouriens et par les membres du Bureau Politique, Salah Ben Youssef a immédiatement regagné péniblement la voiture qui devait l’emmener à Carthage et n’a voulu faire aucune déclaration.

Il a pris place dans une voiture découverte, en compagnie de MM. Habib Bourguiba, Mongi Slim, Taïeb Mehiri, Ahmed Ben Salah, Azouz Rebai et Ali Zlitni.

Un cortège d’automobiles s’est aussitôt formé en direction de Carthage où l’attendaient quelques délégations néo-destouriennes de la banlieue Nord, des sections de scouts et 3000 personnes environ, brandissant des drapeaux tunisiennes et des banderoles.

Salah Ben Youssef et sa suite ont pénétré dans l’enceinte du Palais et ont été aussitôt reçus au cours d’une même audience par le Souverain. L’entretien a duré une vingtaine de minutes environ.

Après avoir traversé la Médina et contourné Tunis par les boulevards extérieurs, Salah Ben Youssef et sa suite se sont rendus, vers 15h20, à Rades où une visite a été faite à Mme veuve Farhat Hached et à ses enfants.

A 16h30, après s’être incliné sur les tombes familiales du cimetière du Djellaz, Salah Ben Youssef est arrivé à son domicile à Montfleury où il a été accueilli par une foule évaluée à 5000 personnes et par la musique de la Jeunesse destourienne.

Quelques coups de feu à blanc, semble-t-il, ont été tirés en signe d’allégresse et deux petites bombes d’artifices ont explosé devant la demeure de Salah Ben Youssef.

Après avoir salué et remercié l’assistance pour l’accueil qu’elle lui avait réservé, Salah Ben Youssef a notamment déclaré : « le 13 Janvier 1952, j’ai quitté mon pays, délégué par mon parti et par le premier gouvernement populaire, pour faire connaître au monde entier les aspirations du peuple tunisien. Aujourd’hui, 13 septembre 1955, je me retrouve sur le sol national, après 4 ans environ d’exil volontaire, durant lesquels le généreux peuple tunisien a combattu sans relâche et sans faiblesse pour relever le prestige de la Tunisie. La manifestation qui m’a été réservée me prouve que l’unité nationale englobent toutes les couches de la population est réalisée, à qui j’ai eu l’honneur de manifester mon attachement dès mon arrivée.

J’ai constaté que ce peuple est animé aujourd’hui d’une foi inébranlable, malgré les souffrances endurées, pour continuer l’action et faire triompher la liberté, la dignité et l’indépendance du pays. J’ai également constaté, de dont j’ai été d’ailleurs toujours convaincu, que l’unité du Néo-destour et du peuple est plus forte que jamais et que ce parti, qui est le vôtre et qui a engagé le peuple dans les luttes précédentes, le conduira aux prochaines luttes décisives. J’ai constaté, dis-je, que cette unité est certainement beaucoup plus forte qu’elle ne l’a jamais été. Il est impensable que cette union que nous avons scellée ensemble durant 25 ans puisse aujourd’hui se briser ou s’effriter. Nous devons au contraire maintenir cette unité qui fait notre force principale et qui nous permettra d’atteindre le but suprême. Cette union a été réalisée grâce aux sacrifices consentis par les martyrs, tels que mes chers frères Farhat Hached, Hédi Chaker et tant d’autres, connus et inconnus. Elle représente pour nous le message des générations passés et nous permettra de délivrer la patrie de tout vestige colonialiste.

Malgré ma maladie, je reviens parmi vous, sur la demande de mes camarades, pour faire mon devoir et assumer mes responsabilités totales, qui passent avant ma santé, afin de continuer la lutte entreprise par les martyrs.

Avant de terminer, je tiens à vous remercier à nouveau pour l’accueil que vous m’avez réservé et les fatigues que vous avez endurés dans l’attente de mon retour.

Je remercie particulièrement le « Combattant Suprême » Habib Bourguiba qui a également souffert, s’est surmené malgré sa santé déficiente et a traversé des moments pénibles. Je suis convaincu que dans cette période considérée comme difficile, Habib Bourguiba fera preuve d’autant de volonté et de courage pour libérer le pays et obtenir l’indépendance totale.

Si les grands hommes deviennent immortels par leur action, je dois conclure que le tableau d’un peuple uni, fort et prêt à l’action libératrice, est l’œuvre du « Combattant Suprême » dont le peuple tunisien conservera à jamais le souvenir.

S’adressant alors à Habib Bourguiba, le Secrétaire Général lui a rappelé les années de lutte commune, leur grande amitié et leur action pour l’union sacrée durant un quart de siècle. « Je suis persuadé, dit-il, que le leader Bourguiba ne se reposera pas et ne connaîtra pas de répit tant qu’il n’aura pas rempli la tâche qui pèse sur ses épaules. Il est de mon devoir, a-t-il ajouté, de déclarer franchement à mes camarades et au peuple tunisien dans son ensemble que les conventions franco-tunisiennes ne constituent pas un avantage pour la Tunisie et que le Président Bourguiba lui-même ne les considère pas comme ayant libéré le pays du colonialisme. J’estime que ces conventions constituent une entrave à l’indépendance et un danger pour notre existence nationale et notre avenir. Unis, nous continuerons l’action en vue d’atteindre notre but suprême.

Le Président du Neo-destour a déclaré qu’il était d’accord avec le secrétaire général pour poursuivre l’action avec le Secrétaire général pour poursuivre l’action contre le colonialisme et l’occupation étrangère. « Mais, a-t-il ajouté, je ne comprends pas l’attitude de mes camarade Salah Ben Youssef à l’égard des accords qui ont pleinement dégagé la souveraineté tunisienne par la cessation de l’administration directe et la suppression du visa résidentiel et qui constituent une étape importante vers l’indépendance totale.

Vous avez constaté par vous-même ce que ces conventions signifient et vous constaterez mieux encore leurs bienfaits dans quelques semaines.

Avant l’arrivée du leader, un court pugilat a opposé les scouts musulmans et quelques ex-fellagahs qui voulaient former une haie d’honneur devant le domicile de Salah Ben Youssef, au lieu et place des scouts.

Finalement, les ex-hors-la-loi ont quitté les lieux en manifestant leur mécontentement.

Il y a lieu de noter, enfin, qu’au moment de la dislocation du cortège à Bab-Ghorjani, trente marocains environ, brandissant des drapeaux, ont crié en arabe : « Le Glaoui au poteau ! ».

 

Comments are closed.