L’EMBUSCADE TENDUE AUX HOMMES DU POSTE DE SAKIET
LE 11 JANVIER 1958.
Les travaux pour l’amélioration du barrage prennent beaucoup d’ampleur et nous perfectionnons sans cesse l’organisation et la défense de nos postes. Nos unités et nos régiments de la 25e division de parachutistes obtiennent des résultats brillants, en particulier le 9e j’ai envoyés, le Ier R.E.P. avec Jeanpierre et le 3e R. P. C. avec Bigeard, de la 10e D. P., leur apportent une aide précieuse. R.P.C. que commande le colonel Buchoud. Les renforts que
Le général Loth conduit bien son affaire et les bilans sont très largement positifs. Les rebelles, souvent « accrochés », subissent de lourdes pertes et laissent entre nos mains un armement important. Je puis dire que c’est sur le front tunisien que se livre maintenant la bataille pour l’Algérie.
Un de ces engagements, pourtant, ne tourne pas à notre avantage. Le 11 janvier 1958, à 4 heures du matin, deux sections de la 12ee régiment d’infanterie quittent notre poste de Sakiet pour aller tendre une embuscade au lieu-dit Mechta Ain Belkassem, à 700 mètres à l’ouest de la frontière, sur un itinéraire fréquemment utilisé par les fellagha venant de Tunisie. A peine arrivés aux abords du lieu choisi, nos hommes sont accrochés par un violent tir d’armes automatiques et de mortiers venant des hauteurs dominantes, situées en territoire français et tunisien. compagnie du 23
Les deux sections, ébranlées mais commandées par un excellent officier, le capitaine Allard, se terrent et demandent au poste du secours et une protection d’aviation. Une compagnie arrive vers 10 heures. L’ennemi, évalué à trois cents hommes, soit six fois plus que les nôtres.
Pour réaliser le stockage de ces grandes quantités d’armes, ils ont dû organiser une contrebande intensive. L’armement en provenance des pays du Moyen-Orient est acheminé soit sur le Maroc, soit sur la Libye, d’où il est ensuite transporté par voie terrestre sur la Tunisie.
Pendant longtemps, la rébellion n’a reçu d’armes que des seuls pays du Moyen-Orient, en particulier d’Egypte. Cependant, depuis le début de 1957, la contrebande à partir de l’Europe s’est accrue.
L’Égypte et la Syrie, du fait des livraisons importantes d’armes modernes que leur consent l’U.R.S.S., disposent de surplus qu’elles vendent ou remettent gratuitement au F.L.N. Ainsi, le 24 août 1957, le paquebot turc Iskanderoum devait débarquer à Tripoli toute une cargaison d’armes et de munitions d’origine russe chargée à Beyrouth et Alexandrie et destinée à la rébellion. Pour sa part, l’Ëgypte fait des expéditions en Algérie à la cadence d’une ou deux par semaine et l’Irak, comme en témoigne un rapport daté de janvier 1957, a également livré près de deux mille armes.
Le matériel de guerre, acheté par le F.L.N. en Europe, provient principalement d’Europe orientale. Le Juan-Illueca, dont la cargaison a été saisie par les Espagnols en juin 1957, transportait des engins de fabrication tchèque tandis que le Swansee, également arraisonné en juin 1957, avait à son bord trois cents tonnes d’armes provenant d’Allemagne orientale.
L’Italie et l’Allemagne occidentale sont aussi d’importants fournisseurs.
L’Allemagne occidentale embarque ses armes à Hambourg ; le chargement soi-disant destiné à la direction de la sécurité nationale du Maroc, et envoyé par Otto Schlutter de Hambourg, a été débarqué à Tanger le 16 juin 1957. Dans la semaine du 12 au 18 août, un bateau transportant de l’armement en provenance du même endroit est arrivé à Tripoli.
La nature et le volume des armes de contrebande sont difficiles à évaluer. On peut toutefois donner quelques chiffres émanant soit de documents, soit de renseignements divers.
D’après un rapport rebelle, daté de janvier 1957, le trafic d’armes à l’extérieur de l’Algérie arrivait, pour les années 1955 et 1956, à un total de dix mille six cents armes, y compris la cargaison de l’Athos.
D’autre part, les déclarations de Ben Bella, confirmées par des documents rebelles, montrent l’importance du programme d’achat et de livraison préparé par le F.L.N. pour 1957. Ben Bella prétend avoir reçu de Nasser, en octobre 1956, 5 500 armes, dont 5 000 fusils 303, 500 fusils mitrailleurs et 3 000 grenades. De plus, en janvier 1957, une affaire, qui devait représenter une valeur de deux millions de dollars, était en cours avec l’Allemagne occidentale et la Scandinavie, tandis qu’une autre, qui se montait à cinquante millions de francs, était en discussion avec l’Italie.
Ces chiffres expliquent les nombreuses arrivées de matériel de guerre au Maroc et en Libye pendant l’année 1957. La seule cargaison venant de Hambourg, et qui fut débarquée à Tripoli dans la semaine du 12 au 18 août 1957, atteignait la somme de trois cent soixante mille marks. Enfin, tout récemment, le docteur Mohammed Ali Cherif aurait passé en Italie et en Belgique un marché estimé à deux cent mille livres égyptiennes.
Malgré les problèmes de recrutement qui commencent à se poser chez les rebelles en raison des réticences de plus en plus vives manifestées par les populations, l’accroissement du potentiel de la rébellion reste encore fonction de l’augmentation du nombre d’armes dont elle dispose. Il y a donc lieu de penser que, dans les mois à venir, la contrebande d’armes continuera à être un des soucis majeurs des dirigeants du F.L.N.
L’arraisonnement du Slovenija illustre clairement cette politique. Voici les faits.
Le bateau Slovenija, sous pavillon yougoslave, parti de Rijeka, anciennement Fiume, et se dirigeant sur Casablanca, est arraisonné le 18 janvier 1958 vers 10 heures, à soixante kilomètres au nord d’Oran. Les opérations, menées par les bateaux de la marine nationale, dont le Cassard, le Kabyle, le Berbère et une protection de Neptune, entre autres le 22 F 7, se déroulent rapidement. Le bateau yougoslave est contraint de stopper et une équipe du Cassard, malgré une mer démontée, monte à son bord. Les armes, régulièrement manifestées, sont facilement découvertes et le chef de l’équipe de visite invite le commandant à se diriger vers Oran. Ce dernier s’exécute par ordre écrit. A15 heures, le navire accoste au quai du Havre où les vérifications de sa cargaison sont immédiatement entreprises. Sur décision du préfet Lambert, I.G.A.M.E., le matériel est déchargé dans la nuit du 18 au 19 et entreposé pour inventaire à Mers el-Kébir. Ainsi délesté, le Slovenija reprend sa route vers Casablanca.
Cet arraisonnement est l’aboutissement d’une série de renseignements apportés par nos services des écoutes (S.T.R.) et « d’honorables correspondants » installés à Fiume. J’ai pu, en temps voulu, en informer l’amiral Géli, préfet maritime, ce qui lui a permis de prendre les mesures nécessaires.
L’inventaire de cette cargaison est impressionnant. Cet armement provient des arsenaux tchèques de Brno, anciennement Brünn, comme le prouve l’étiquetage des caisses. Tout est soigneusement graissé et protégé des heurts pouvant provenir du transport par mauvaise mer.
En voici l’inventaire : i 500 pistolets tchèques automatiques 6 mm neufs, avec équipements ; I 000 pistolets mitrailleurs 9 mm, modèle 40 allemand, rénovés avec équipements usagés ; 4 000 fusils Mauser rénovés ; 1$ mortiers de 81, neufs, 40 bazookas neufs ; 200 mitrailleuses MG 42 allemandes, rénovées ; 202 583 cartouches de 9 mm, balles courtes ; 1 002 240 cartouches de 9 mm, balles longues ; 998 535 cartouches de 7,92 ; 330 bengalores ; 100 mises à feu électriques pour bengalores ; 6 000 coups complets pour mortier de 81 ; 2 000 engins antichars du genre « panzerfaust ».
Je me rends à Oran et Mers el-Kébir le 21 janvier et félicite chaudement nos marins de ce beau coup. J’ai remercié nos services de renseignements qui ont fait là un travail remarquable.
Il s’ensuivra une demande de restitution par l’ambassadeur yougoslave à Paris, qui sera faite sur un ton modéré et courtois, et demeurera sans suite.
Pour nous, c’est, sur le plan pratique, un fait exceptionnel et, sur le plan moral, un échec cuisant pour la rébellion.
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