Les secrets de l’opération de Gafsa (Ch. Casterau 1980)

Les secrets de l’opération Gafsa 1980

Par Christian Casteran

Depuis deux ans, un commando s’entraînait dans un camp de Libye pour attaquer la ville minière du Sud tunisien. Sur place, un opposant de Bourguiba, Cherif le Borgne, avait tout préparé pour cette première action qui devait s’étendre à l’ensemble de la Tunisie

But de toute cette opération selon le ministre de l’Intérieur : encercler Gafsa, former un gouvernement et appeler ensuite en renfort un Etat étranger disposé à leur fournir des armes et des munitions.

Bilan officiel de l’aventure : quarante et un morts, cent dix blessés (vingt-deux morts quatre-vingt onze blessés dans l’armés et la police, quinze morts, seize blessés chez les civils et quatre mort et quarante-deux prisonniers chez les «agresseurs »).

Le traumatisme libyen

La Libye est donc l’instigateur de tout. Une exposition de «preuves à conviction trouvées sur les assaillants » est là pour en convaincre : armes et munitions d’origine soviétique et allemande de l’Est : passeports libyens, cartes de l’Union socialiste arabe de Libye, etc…

«Ils sont venus deux jours avant la plus sacrée des fêtes musulmanes le Mouled montrant ainsi clairement leur mépris des valeurs de l’Islam» Quelques heures après la déclaration du ministre de l’Intérieur, le Premier Ministre annonce devant les cadres du Parti, au milieu des cris stigmatisant «l’attaque criminelle contre Gafsa », le rappel du haut représentant  tunisien en Libye.

En vacances à Nesta, Habib Bourguiba reçoit les gouverneurs de la région expédie sa femme présider un meeting à Gafsa mais s’obstine à ne pas rentrer à Tunis : une façon de montrer que l’affaire ne dépasse pas le cadre d’une «Ingérence extérieure » et que le «combattant suprême » est très tranquille quant à la situation intérieure de son pays.

Tout est donc dit la dramatisation du rôle de la Libye permet de minimiser les «complicités intérieures » L’hostilité traditionnelle entre les deux pays accentuée ces dernières années par les humiliations vécues par des milliers de Tunisiens contraints à devenir faute de travail en Tunisie, le prolétariat du riche voisin libyen, permet à Tunis d’exploiter à fond le réflexe nationaliste.

La classe politique ricane sur «l’internationale Verte » et n’en finit pas de raconter l’injure inouïe de Khadafi qui reçu en l’absence de Bourguiba hospitalisé en Suisse en 1971 par le Premier ministre Hedi Nouira a osé faire tout un discours sans prononcer une seule fois le nom du «combattant suprême » !

L’homme de la rue qui cache pourtant mal son mécontentement face aux hausses des prix, prend lui le relais du discours officiel. Et retrouve les politiciens pour stigmatiser «L’union dans laquelle Khadafi voulait fondre la Tunisie et dont il n’a jamais pardonné l’échec »…

Pas un garde à un barrage, pas un militaire, pas un fonctionnaire, pas un employé pas un militant non plus ne dénonce «l’agression extérieure et les visées de Khadafi sur la Tunisie »

«Les Libyens sous prennent pour leurs sous-développés. Ils croient pouvoir tout acheter avec leur argent mais on ne les aime pas : ils sont trops méprisants » entend-on partout.

L’annonce de l’incendie de l’ambassade de France et de l’encerclement de l’ambassade de Tunisie à Tripoli ne risquaient évidemment pas de calmer les esprits déjà passablement échauffés par les informations distillées par la Libye. Après avoir entendu Radio-Tripoli affirmer que les villes de Sfax et Gabès s’étaient également soulevées, les Tunisiens ont manqué de s’étrangler en apprenant lundi soir que des «militaires américains et français affrontaient les masses populaires dans les principales villes tunisiennes ».

Malgré les efforts de Tunis pour réduire l’opération de Gafsa à «un raid de mercenaires manipulés de l’étranger », il est impossible en effet de croire à une opération d’une telle ampleur sans un soutien de la population «Le tout c’est d’en évaluer l’importance », finissait par m’avouer à Kasserine un responsable civil.

Un arsenal énorme

Gafsa à l’entrée du Djerid-sud du côté de l’Algérie : Gafsa aux portes du désert : Gafsa entourée d’immensités de sable et de montagnes désertiques et incontrôlables : Gafsa bouclée : Gafsa ratissée : Gafsa commando-suicide sans lendemain ? Gafsa première opération-suicide appelée à être suivie de vagues successive de commandos ? Gafsa tache d’huile ? Difficile de répondre à ces questions le blocage quasi-total de l’information ayant donné naissance aux rumeurs les plus folles.

A commencer par celles concernant le nombre des agresseurs. Alors que tout le monde – officiels tunisiens et diplomates étrangers compris – admettait que le commando devait compter environ deux cent cinquante à trois cents hommes, la version officielle l’a brusquement réduit à cinquante. En oubliant d’expliquer comment-un commando de cinquante personnes a pu investir une ville de trente mille habitants. Ni comment un petit groupe de gens pouvait utiliser seul quarante mitraillettes 73 fusils-mitrailleurs 39 fusils 53 pistolets, neuf bazookas, trois mortiers, dix postes-émetteurs et une quantité impressionnante de munitions, sans parler des caches d’armes qui sont découvertes chaque jour dans des villages alentour. Les commandos étaient-ils beaucoup plus nombreux ou comptaient-ils trouver un soutien important dans la population ?

Une telle quantité d’armes n’a pu être introduite en même temps à Gafsa. L’opération était donc préparée de très longue date. Des armes dû passer au fur et à mesure, au fond de couffins, ce qui implique évidemment beaucoup de monde. Selon certaines informations, hommes et matériel étaient infiltrés à Gafsa depuis novembre : un responsable de Kasserine m’a affirmé qu’une trentaine de membres du commando était à Gafsa où ils avaient loué une villa depuis plus de dix-sept jours. Or la Tunisie est suffisamment bien quadrillée pour qu’un groupe d’une telle importance ne puisse s’armer sans attirer l’attention. A moins de complicité intérieures très fortes ou d’une grande intégration dans la population. Il semble acquis que les assaillants étaient pratiquement tous des gens de la région. Certains même auraient semble-t-il, travaillé dans l’armée. L’un d’entre eux a même été reconnu pour avoir transporté des pierres en camion tout près de la caserne pendant les jours qui ont précédé l’opération.

Gafsa, ville où se sont implantés, avant l’indépendance, les premiers maquis de militants nationalistes tunisiens. Gafsa centre où il a toujours été difficile de venir à bout de la guérilla à cause des djebels et des maquis incontrôlables et de sa population très dure et déshéritée («Des mineurs de phosphate ne reculent jamais » explique un avocat de Gafsa) : la combattivité de Gafsa n’explique cependant pas tout.

Le brassage entre les populations libyenne et tunisienne dans cette région n’a pu qu’étre déterminant pour le choix de la ville . sue les quelque 80.000 Tunisiens qui travaillent (légalement ou non) en Libye , beaucoup sont originaire de cette région ou l’on capte mieux la radio libyenne que la radio tunisienne . en annonçant des combats à Sfax et Gabés , radio Tripoli espérait évidament créer une contagion .

Et cela d’autant plus que des grèves importantes avaient eu lieu quelques jours auparavant à Sfax .

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