Algérie et Sahara
Une immense affaire
“Infandum, regina, jubes revovare dolorem”. « Tu me commandes, ô Reine, de renouveler une terrible douleur ». C’est en ces termes que sous la plume de Virgile, Enée commence le récit de la prise de Troie.
…Nous avions reçu de notre éducation et de vision des affaires du monde la certitude que l’Algérie était française…
…C’est pour assurer la sécurité de l’Algérie et des confins de notre Afrique Noire que des colonnes militaires, après le succès de nos explorateurs, étendent notre souveraineté au Sahara. C’est pour assurer l’avenir pacifique d’une terre désormais divisée en trois départements que la République impose son protectorat à la Tunisie puis au Maroc.
…Dans l’âme populaire, l’Algérie est juridiquement, politiquement, moralement française…
…L’année suivante, à l’occasion d’une mission en Tunisie, qui constitua jusqu’en 1959 mon dernier voyage en Afrique du Nord.
…Le temps de la souveraineté française illimitée et exercée à Rabat comme à Tunis d’une manière arbitraire était clos.
…A l’égard de la Tunisie, alors que les premiers fellagha commettent leurs premiers crimes, c’est l’impuissance. Robert Schuman, hors d’état d’imposer une politique dont on ne sait d’ailleurs s’il la conçoit clairement tant ses déclarations sont contradictoires, laisse l’Assemblée nationale en délibérer et de cette abdication il résulte un arc-en-ciel de six ordres du jour dont aucun n’obtient une majorité. Le Parlement est ridicule, certes, mais le gouvernement davantage encore car c’est à lui qu’incombe la charge de décider.
…Au cours des mois précédents, j’avais reçu à quelques mois d’intervalle deux visites. D’abord celle de Bourguiba venu s’adresser, me dit-il, à « un homme de bonne foi ». Ensuite celle d’un plus jeune Tunisien, dont René Brouillet était l’ami, Nouira, alors inconnu à Paris et qui sortait de la prison à laquelle il avait été condamné pour atteinte à la sécurité du protectorat : ses cheveux coupés court étaient une preuve de sa récente libération. A l’un et à l’autre, sans succès, j’avais exposé mes vues sur une souveraineté partagée. Ils étaient intéressés par ma volonté de modifier les règles désuètes d’un protectorat transformé en administration directe, mais ils voulaient davantage : la souveraineté tunisienne accompagnée, il est vrai, d’un traité d’alliance et d’entraide.
…Dans le même temps et en vue de distendre les liens qui se sont établis entre la rébellion algérienne et les deux gouvernements voisins, le Général tire les conclusions des années passées et fait évacuer par notre armée la Tunisie, à l’exception de Bizerte, et le Maroc, à l’exception de deux grandes villes, Meknès et Marrakech, et de deux ports, Agadir et Port-Lyautey.
…L’autodétermination. Je m’oriente vers un statut nouveau dont je concède volontiers qu’il devrait être présenté comme évolutif. Dans mon esprit, il s’agirait d’un statut de vingt-cinq ans : c’est le terme dont m’avait parlé le Général dès la fin de 1958. Selon ce statut, l’Algérie acquerrait une personnalité propre, marquée par les institutions représentatives et de très larges compétences administratives, économiques et sociales. Au sein de ces institutions serait assurée la représentation des deux communautés. La France coopérerait avec cette Algérie nouvelle, notamment pour ce qui concerne la tolérance religieuse, les garanties réciproques des deux communautés et avant tout celles de la communauté minoritaire, la mise en valeur du Sahara, de concert avec la Tunisie, le Maroc et les Etats d’Afrique Noire. L’armée française disposerait de bases dont le nombre irait en diminuant au cours de la période d’application du statut.
… « S’il le faut, le Sahara s’autodéterminera séparément ! Il y a droit, comme l’Algérie », telle est la réponse que le Général a faite à la précision que je lui avais demandée à ce sujet. La souveraineté française demeure, complétée par la participation des Etats riverains aux bénéfices de l’exploitation du sous-sol.
…Je demande un dossier sur l’Organisation commune des Régions sahariennes (O.C.R.S.) en vue de mettre en place une structure à la fois politique et économique sui permette à la France d’assurer pour l’essentiel l’avenir du Sahara en partageant le bénéfice de sa mise en valeur avec l’ensemble des riverains.
…Le Général a traversé une période de dépression. « Heureux le soldat mort au soir d’une victoire ! ».
…Loin de se ranger aux côtés du GPRA, il aspire à s’ériger lui-même en partie prenante. Il y a une revendication tunisienne sur le Sahara au même titre qu’il y en a une marocaine. La tragique erreur de Bourguiba, c’est d’avoir voulu poser son problème avant qu’un accord franco-algérien ne soit intervenu. Ce faisant, il ne réussit qu’à braquer les Algériens sans se concilier la France.
Manquant de ressources naturelles, la Tunisie, devenue indépendante, se résigne mal à sa condition de parent pauvre du Maghreb. Le contour sud de son territoire, qui l’exclut des zones pétrolifères dont bénéficient l’Algérie et la Libye, lui apparaît comme fondamentalement injustes. Or, la convention franco-turque du 19 mai 1910 fait descendre sa frontière avec la Libye jusqu’à la borne 233, exactement jusqu’à Garet El Hamel, à une quinzaine de kilomètres du sud de Ghadames, tandis que la convention franco-tunisienne de 1955 lui accordent l’autonomie interne en limite le tracé à la borne 220, non loin de Fort Saint.
L’écart est sans doute dérisoire : une vingtaine de kilomètres carrés. Mais, en revendiquant la borne 233, Bourguiba espère opérer, dans le dispositif frontalier existant, une brèche qu’il élargirait ensuite en adjoignant à cette revendication, purement juridique, une revendication politique. Cette dernière consiste en la suppression d’un tronçon de la frontière algéro-tunisienne entre Bir Romane et Fort Saint. En faisant sauter ce verrou, il deviendrait possible pour lui de se tailler un hinterland entre l’Algérie et la Libye, lequel s’étendrait jusqu’au Niger et comprendrait le gisement d’Edjelé situé à quatre-vingts kilomètres de la borne 233.
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