Pas à pas avec les manifestants d’Ezzouhour
Par Fadhila Bargaoui
Le Maghreb du 14/1/1984
Vers neuf heures, des petits groupes ont commencé à affluer de partout de Sidi Hcine, des cités Ezzouhour 2 et 3, d’Ezzahrouni, et de Mellasine. Des badauds, dont quelques un n’ont pas les neuf ans accomplis étaient en tête des files. L’air farouche, ils avancent, certains les pieds nus. En l’espace d’une nuit, leurs visages se sont fermés. Pourtant, aucune décision n’a été prise. On s’est réuni spontanément, sans savoir au juste ce qu’on veut faire… ni quelle direction prendre. Dans ce quartier populaire, les nouvelles se propagent vite. En l’espace de quelques minutes une centaine de gosses s’est réunie. Le plus vieux n’avait pas quinze ans. Le cortège s’ébranle lentement indécis et hésitant. Puis à la vue d’un bus qui pointe, le cortège s’agite comme pris d’une fièvre soudaine.
…Arrivé à la cité Ezzouhour 3, la foule qui grossissait à vue d’œil se déchaine sur les stations abri. Elle tord la ferraille, arrache les potaux électriques et hurle de joie. C’était comme une délivrance qui succédait à la tension du matin. En tête de cortège, les meneurs qui se sont formés au fur et à mesure guident maintenant les autres. Ils brandissent des barres de fer, des gourdins, des pierres et pressent les enfants de rues qu’ils atteignent à se joindre à eux.
…A Ce moment un bus arrive. Ce fut de nouveau l’hystérie. Des projectiles de toutes sortes sont lancés sur le véhicule. On fait descendre le chauffeur et les quelques usagers, pris de panique et terrifiés. Un jeune adolescent propose de conduire le bus vers un endroit et de le brûler ensuite. Un autre répliqua qu’on a d’autres chats à fouetter et qu’il faudrait monter vers Ezzahrouni.
…La marée humaine déferle sur Ezzahrouni. Elle chante, hurle, gesticule, insulte et rie. Mais à la vue du bâtiment qui abrite la délégation, un long cri est poussé. Il est impossible de contenir la foule. Rapidement une vingtaine de gosses a investi la délégation sans rencontrer de résistance. Défoncées, les portes cèdent le passage à des mains fébriles qui s’emparent des dossiers, éventrent placards et sièges. Dehors ceux qui n’ont pu y entrer hurlent. Ils exigent qu’on leur livre le délégué ou son remplaçant.
…La foule change de direction. Elle se replie sur le Den-Den. En cours de route, les émeutiers se sont mis à guetter les petites voitures qui apparaissent. A chaque vitre qui éclate un cri de joie lui répond. On s’acharne surtout sur les plus belles voitures. On surveille les Mercédès et le BMW les plus belles cibles. Plus la foule s’approche du Den-Den, plus elle grossit.
Maintenant, en plus des jeunes émeutiers, d’autres personnes un peu plus âgées se sont jointes ne brisent rien pour le moment et ne crient pas non plus. Elles ont l’air d’attendre quelque autre évènement. Vers quatorze heures, la foule a atteint le Magazin du Den-Den. Elle s’arrête un moment comme pétrifiée devant le luxe qui s’étale devant ses yeux, puis hurle son indignation. Les vitrines volent en éclats.
Ce fut ensuite une véritable ruée sur les rayons. On emporte les postes de télé, les plateaux en inox, les chaises… les flacons de parfum… Des familles entières participent au pillage». Telle cette femme, qui avec l’aide de sa fille pousse un divan de salon vers la sortie. On casse ce qui ne peut être emporté. Puis quelqu’un suggère qu’il faut détruire faute de venir à bout de tout ce luxe.
Plus audacieux, un autre fit claquer un briquet et le feu se propage comme une trainée de poudre. Il crépite dévorant le bois, purifiait et nettoyait. Dans ce tohu-bohu général la foule ne cesse de hurler sa vengeance.