Ben Salem Mémoire DES : l’affaire de la borne 233

 

L’affaire de la borne 233

 

Mémoire DES de Droit Public

Faculté Droit de Tunis

Ben Salem Mohamed

1971-1972

 

…En effet, l’indépendance acquise, l’héritage colonial des frontières devient une plaie dans les relations de ces Etats. Des conflits, des revendications territoriales, des demandes de rectification, telle est la première maladie infantile des Etats Africains nouvellement indépendants. La gravité du problème atteint des dimensions telles qu’il a été soulevé par la plupart des chefs d’Etats africains au cours de la conférence constitutive de l’OUA (25 mai 1963) et dans les différentes conférences qui l’ont suivies.

En Afrique au Sud du Sahara, des conflits frontaliers ont éclaté partout, conflits qui ont donné souvent lieu à des affrontements armés (ex : Somalie et Ethiopie, Somalie et Kenya). Au Maghreb, le problème des frontières a été général. C’est un élément qui est venu enrichir le patrimoine commun des trois pays (Maroc, Algérie et Tunisie). Au mois de Décembre 1963, un conflit armé éclaté entre l’Etat marocain et l’Algérie nouvellement indépendants, au sujet de la zone de Tin Douf.

…Mais les puissances coloniales lancées dans une course effrénée d’acquisition de territoires ne pouvaient que voler la règle de délimitation. Le territoire n’est plus la zone où s’exerce la souveraineté de l’Etat, mais une zone d’influence. La frontière n’est plus l’aboutissement de sa formation politico-juridique, mais son point de départ. Charles André Julien ajoute : « D’immenses territoires furent cédés à des compagnies contre quelques mètres d’étoffe ou quelques bouteilles d’alcool ».

…Tous ces éléments ont permis aux puissances coloniales de partager arbitrairement les territoires africains, d’où alors la généralisation de la frontière rectiligne, une ligne droite tracée sur la carte puis transposée sur le terrain. Le Professeur Charles de Visscher écrit : « L’Afrique s’est prêtée le mieux aux délimitations dites artificielles ». En Afrique, la frontière n’a pas un fondement juridique ou historique mais un fondement colonial.

…Les conflits frontaliers africains se vérifient pleinement dans l’affaire de la borne 233 qui a gelé pendant huit ans les relations des deux pays.

…En effet, la convention de 1910 conclue entre la France la Tripolitaine délimite la frontière tunisio-lybienne. Le dernier point de la frontière s’arrête selon cette convention à Garat El Hamel, dénommée borne 233, « situé à 13 kms au Sud Ouest de Ghadames ».

Après l’indépendance, la Tunisie considère que sa frontière avec la Libye s’arrête à la borne 233, et que le tronçon frontalier Bir Romane, borne 233 situé entre l’Algérie et la Tunisie fera l’objet d’une délimitation concertée avec l’Algérie indépendante. Au moment de la guerre de Bizerte, la Tunisie a généralisé le conflit jusqu’au Sahara pour la récupération de la borne 233 usurpée à l’époque par la France. Mais grâce aux renforts venant d’Algérie, les troupes françaises, stationnées dans la zone de la borne 233 ont empêché les troupes tunisiennes d’entrer en  possession de ladite borne. Après son accession à l’indépendance, l’Algérie considère que sa frontière avec la Tunisie ne s’arrête pas la borne 233, mais la borne 222, au lieu dénommé (Fort Saint).

…La controverse tuniso-algérienne s’est compliquée davantage et le conflit a atteint la phase de crise aigüe après la découverte dans la zone litigieuse des richesses importantes en hydrocarbures. Le triangle borne 233, Fort Saint et Bir Romane recouvre partiellement un périmètre de recherches pétrolières couvrant 20000 km2. Ce permis de recherches a été octroyé par décret le 3 juin 1959 à une association de 3 compagnies : une compagnie américaine Esso, 2 compagnies françaises : Petropar, CFP. Les travaux de prospection commencée en octobre 1959, ils ont permis très vite la découverte du gisement d’El Borma.

…La Tunisie revendique la borne 233 en vertu de titres juridiques et historiques, l’Algérie considère cette borne comme un point de frontière hérité de la France : deux thèses opposées donnant lieu à un conflit frontalier entre les Etats voisins.

…Le Maroc, au moment de son adhésion à la charte de l’OUA, a formulé la réserve suivante : « S’agissant de la réalisation et de la sauvegarde de l’intégrité territoriale du Maroc dans le cadre de ses frontières authentiques, il est important que l’on sache que cette signature de la charte de l’OUA ne saurait aucunement être interprétée comme une reconnaissance expresse ou implicite des faits accomplis jusqu’ici refusée comme tels par le Maroc, ni comme une renonciation à la poursuite de la réalisation de nos droits par les moyens légitimes à notre disposition.

…La convention de 1910, conclue entre la Tunisie et la Tripolitaine a délimité la frontière tuniso-libyenne. D’après cette convention la borne 233 dressée à Garat El Hamel constitue le dernier point de cette frontière. La France a participé activement à la négociation de cette convention, le Résident général français en Tunisie l’a conformément à ses attributions, contresignées. Il ressort de tous ces éléments que la France a juridiquement reconnus le rattachement de la borne 233 au territoire tunisien.

…La France attache une importance capitale pour le triangle Bir Romane, borne 233, Fort Saint. Elle refuse alors toute offre de délimitation de cette zone entre l’Algérie et la Tunisie. Deux raison expliquent cette carence voir même ce refus de décimation. Le triangle indiqué constitue une zone névralgique dans le commerce transsaharien, mais surtout une zone stratégique pour le contrôle de la Libye.

La borne 233 et la zone qui lui est adjacente avait un intérêt commercial capital. Elle se trouve en effet sur la route de Ghadames centre commercial saharien très florissant.

…Le gouvernement français parait avoir eu pour doctrine que la meilleure des frontières était celle qui n’est pas déterminée ».

…Or, dès son indépendance, la Tunisie condamna cette jouissance exclusive et illicite du Sahara. Le Président Bourguiba préconise alors deux solutions : la première serait le partage du Sahara entre les pays limitrophes, « Notre part du Sahara serait dans ce pays le prolongement naturel de la Tunisie, de même que la part de la Libye, de l’Algérie, du Maroc, du Sénégal seront le prolongement de chacun de ces pays appelés à se rencontrer dans le grand bassin saharien ».

« Ou bien en partant d’un point de vue différent qui consisterait à considérer le Sahara comme un océan et une zone commune de contact pour tous les pays riverains qu’il prolonge ». Il ajoute : « Ce qui est inadmissible c’est qu’on nous ferme au nez le porte du Sahara en soutenant tout ce qui se trouve au-delà de la porte appartient à la France ».

A côté de cet intérêt économique, la borne 233 représente encore une fois un intérêt stratégique. Après la deuxième guerre mondiale, les troupes françaises du Général Leclerc ont occupé la région de Fezzane située en Libye. La zone de la borne 233 érigée en territoire militaire assurait ainsi la liaison entre les deux forces françaises.

Après l’exposé de tous ces éléments qui ont déterminé la France à occuper la borne 233 et à refuser sa libération à la Tunisie, l’argument de l’occupation effective invoqué par l’Algérie pour revendique la borne 233 devient illusoire. D’ailleurs, cet argument risque de nous amener très loin car, si la France n’a pas évacué certains points frontaliers tuniso-algériens (ex : le Kef, Ghardimaou) ou tuniso-libyens (ex : Ramada), l’Algérie les aurait revendiqués pour le même motif, alors que l’occupation de tous ces points donne celui de la borne 233 n’avait pour cause que des intérêts économiques ou stratégiques inhérents à la politique coloniale française de l’époque.

…Après l’indépendance de la Tunisie, cette convention a été indirectement confirmée par la France lors de délimitation de la frontière algéro-libyéenne entrée le Ghat et Ghadames. En effet, un décret français du 23 janvier 1958 a publié l’échange de lettres entre le gouvernement français et le gouvernement libyen en date du 23 décembre 1956, confirmant l’accord du gouvernement français et libyen sur les conclusions de la commission mixte franco-libyenne portant délimitation de la frontière entre Ghat et Ghadames.

« Le point initial de la frontière est la borne située sur Garat El Hamel à environ 14 kilomètres du Sud-ouest de Ghadames et désignée par le numéro 233 dans le procès verbal d’abornement de la frontière franco-turque en 1911 ». Mais malgré tous ces engagements juridiques, la France a opposé son refus pour la récupération par la Tunisie de la borne 233.

…D’autre part, à la demande de la Tunisie, le gouvernement libyen a confirmé la convention de 1910 par une lettre adressée au gouvernement tunisien : « Nous avons demandé à la Libye confirmation de l’accord de 1910 relatif aux frontières reconnues à l’origine par l’Empire Ottoman ». Le gouvernement libyen n’a fait aucune objection. Son accord vient d’être sanctionné tout récemment par un échange de lettres.

Mais ce qui nous importe le plus est de voir si la convention de 1910 engendre des effets à l’égard de la France installée en Algérie et par suite à l’égard de l’Etat algérien après son accession à la souveraineté internationale.

…L’accord franco-libyen de 1956 sur la délimitation des frontière algéro-libyénne revoie à la convention de 1910. L’Algérie reconnait donc par le biais de cet accord de la convention en question.

…Après son accession à la souveraineté internationale, l’Algérie a endossé cette violation en excipant du principe de l’intangibilité des frontières héritées de l’ex-puissance coloniale. Cet héritage invoqué ne porte pas en fait sur la borne 233 mais sur son occupation illicite par la France.

…En effet, l’Etat algérien, malgré l’existence de la convention de 1910, a continué à occuper la borne 233 enfreignant par la disposition de cette convention. En conséquence, la violation de la convention de 1910 et le dommage qui est découlé n’ont pas disparu mais ils ont simplement changé l’auteur.

La convention

L’article premier de la convention du 6 janvier 1970 stipule que la frontière tuniso-algérienne de Bir Romane à l’intersection avec la frontière libyenne est celle définie dans le procès verbal d’abornement signé à Tunis le 16 avril 1968.

…Par ailleurs, la convention du 6 janvier 1970 comporte un protocole dans lequel il est dit : « La Tunisie cède à l’Algérie les biens domaniaux tunisiens situés en territoire algérien à l’Ouest de Fort Saint. L’Algérie versera à la Tunisie en compensation de cette cession l’équivalent de 10 millions de dinars algériens en Francs français.

D’après cet article, le territoire situé à l’Ouest de Fort Saint (borne 233) est algérien, or comme la borne 233 est dressée dans la zone, il en découle que désormais, elle fait partie intégrante du territoire algérien.

…A propos de Fort Saint, je vous ai dit que c’est l’Etat tunisien qui a construit le puits. Ceux qui l’ont creusé sont toujours là. La dépense a été supporté par le budget tunisien ».

Il ressort de tous ces éléments contenus dans la convention de 1970 que la borne 233 a été cédée à l’Algérie.

La nouvelle frontière algéro-tunisienne n’est pas celle héritée par l’Algérie de l’ex-puissance coloniale, mais celle occupée par la France contrairement aux engagements internationaux jusqu’à dire que la solution de l’affaire de la borne 233 est le résultat d’un rapport de forces, nous dirons plutôt qu’elle a été le résultat d’une opportunité politique. Cette opportunité doit être située à deux niveaux : au niveau africain d’abord mais surtout au niveau maghrébin.

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