Lamine Bey réclame le soutien de la France

Le Bey réclame le soutien de la France

Béchir Turki

 

En ce 15 septembre 1974, autrement dit entre le congrès extraordinaire de Ksar Hellal, congrès de la venue au monde du Néo-Destour, et le IXème congrès de ce même Néo-Desoutr, tenu à Monastir et dénommé «Congrès de la Clarité». En ce 15 septembre 1974, Bourguiba a été plébiscité «Président à vie». Ce jour-là le naufrage du Combattant Suprême a commencé ; submersion d’un quart de siècle, d’abord imperceptible puis de plus en plus rapide vers la ruine de l’impétrant.

…Les Tunisiens ne perdront rien pour attendre rien pour attendre car la République bourguibienne sera autoritaire et son président un «despote éclairé». De plus en plus despote avec l’âge et de moins en moins éclairé ».

…Le protocole d’accord franco-tunisien relatif au régime d’autonomie interne de la Tunisie est paraphé après de longues et laborieuses négociations, le 31 mai 1955, veille du retour triomphal de Bourguiba à Tunis. Le 3 juin, le texte est signé, du côté tunisien par M. Tahar Ben Ammar et du côté français par M. Edgar Faure. Après ratification par le Parlement français, il est scellé au Palais de Carthage par S. A. Sidi Lamine Pacha Bey, le 27 août, sur la table même où trois quarts de siècle plus tôt, le 12 mai 1881, avait été apposé le sceau beylical.

…Bourguiba convoque un congrès pour le 15 novembre 1955. La capitale du Sud en sera le berceau. Le Néo-Destour n’est plus un parti interdit. Pour la première fois depuis Ksar Hellal une réunion politique néo-destourienne pourra se tenir au grand jour. A cet avantage de la liberté retrouvée s’ajoute celui de la dignité. En effet, à partir du 1er septembre 1955, les décrets beylicaux ne sont plus «visés pour promulgation et mis à exécution» par le résident général. Ce même jour le représentant de la France devient Haut commissaire de France en Tunisie.

…Le vendredi 7 octobre 1955, du haut du minbar de la Zitouna, après la prière collective, le secrétaire général harangue une foule massée non seulement dans le sanctuaire et dans la cour de la prestigieuse mosquée mais également dans les rues avoisinantes.

…Le 28 janvier 1956, une âme charitable prévient le farouche dissident de son imminente arrestation suite à un mandat d’amener lancé contre lui pour incitation à la révolte.

…Le 20 mars la Tunisie accède à l’indépendance, dix-huit jours après le Maroc.

…Le 19 avril, il fait sceller par le bey deux décrets, l’un créant une Haute Cour de Justice, l’autre prévoyant des indemnités susceptibles d’être allouées aux membres comités de vigilance. Rappelons-le, la création de tels comités a déjà été prévue par un arrêté du 31 mars écoulé, arrêté signé Tahar Ben Ammar.

L’activité des vigiles est ultra-secrète. Elle est centralisée dans un vieux local, labyrinthe de galeries, de couloirs, de trappes, de puits et de caves, situé rue de l’obscurité, ou «Sbatt Edhlam», dans la médina de Tunis.

…Bourguiba à diverses reprises ordonne à l’Armée Tunisienne – à peine née – de combattre les youssefistes et autres rebelles réfugiés dans les montagnes du Nord et du Nord-Ouest.

Le président du Néo-Destour, peu de jours après l’indépendance de la Tunisie, aurait demandé l’armée d’occupation, encore présente dans le pays, de l’aider à combattre les youssefistes terrés dans les djebels du Sud. Le Haut Commissaire de France acquiesce. Il utilise, pour répondre au vœu de Bourguiba, les Unités du 8° Régiment des Tirailleurs Tunisiens appuyées par l’aviation et l’artillerie. En conséquence, des soldats tunisiens sont utilisés pour pourchasser des civils tunisiens. Les pertes sont lourdes de deux côtés. Le Bey n’était pas dans le secret. Emu par l’information, Sidi Lamine proteste auprès de M. Seydoux. Nous étions au début du mois d’avril 1956, « Vos soldats sont mes sujets, lui dit-il. Vous les avez utilisés sans mon assentiment contre d’autres de mes sujets. Le sang versé de deux côtés est du sang tunisien ! ». Le représentant de la France lui apprend la vérité. « J’ai répondu favorablement à une demande présentée par Maître Bourguiba, en vertu d’un accord réalisé le 28 mars dernier entre M. Ladgham, vice-président du Conseil et moi-même », répond-il au souverain. Et d’ajouter : « Rentré de Paris après avoir discuté du même sujet avec le gouvernement français Me Bourguiba était présent  mon entretien avec M. Ladgham ».

Informé des propos échangés entre le Bey et le Haut Commissaire de France, Bourguiba, fou de colère, court à Carthage, s’introduit au Palais, fait irruption dans le bureau particulier du prince Chadly. Le prince Salaheddine était là, tout à fait par hassard. C’est tant mieux ! pense le chef du parti. Malin comme un singe, il renverse les données de l’entrevue litigieuse. L’accusé devient accusateur. «Votre père, dit-il aux deux princes, est en train de comploter pour empêcher la Tunisie d’être totalement maîtresse de sa sécurité. Les forces de police doivent demeurer selon son secret désir sous la tutelle française : ainsi sa protection sera mieux assurée ! ». Chadly Bey tente de calmer le futé querelleur. « Le souverain, rétorque-t-il, voulait tout simplement exprimer son souci de protéger ses sujets, même quand ils sont provisoirement des soldats au service de la France ».

La magouille n’ayant pas pris avec le Prince Chadly, Bourguiba essaiera de ruser avec Tahar Ben Ammar. Il lui répète les mêmes propos puis il demande un témoignage écrit attestant la volonté du Bey de voir la France continuer à assurer la sécurité du trône. Le Premier ministre refusera de se prêter à un acte de félonie. « Une telle altération de la vérité, dit-il à Bourguiba, serait une forfaiture ». Ce sera là l’origine de l’une des dents gardées par le vindicatif leader à la fois contre le Bey et contre Tahar Ben Ammar : contre le premier pour avoir osé convoquer, sans son aval, le représentant de la France : contre le deuxième, pour avoir refusé de lui délivrer un témoignage mensonger le blanchissant, de tout acoquinement avec l’armée d’occupation.

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