Chedly Khairallah : La querelle des deux destours : 1937

1937 Cheikh Thaalbi

(Manuscrit Chadly Khairallah)

La querelle des deux destours

Le rôle joué à Tunis et à Paris par le Cheikh Taâlbi fait l’objet d’une longue étude consacrée exclusivement à Taâlbi et on retrouvera dans son dossier (B-3-13)

qu’il nous suffise ici de rappeler qu’il avait été arrêté à Paris, c’est en mandat d’amener du 22 juillet 1920 et transféré le 22 août 1920 à la prison militaire de Tunis.

Le tribunal militaire de Tunis avait prononcé un non-lieu sur le chef d’accusation de complot contre la sûreté de l’État tunisien. Mais Taâlbi avait été retenu en prison sous prévention d’avoir contrevenu à l’article 81 du code pénal tunisien qui est interdit aux non-Français la critique de l’administration du protectorat.

Il a été libéré, après 12 mois de détention préventive, à la promulgation de la loi d’amnistie de 1921.

C’est l’apocalypse et il est, pour un temps seulement, le grand maître du parti.

Ses camarades avaient lieu par deux délégations successives à Paris, présenté des revendications qui n’avaient plus rien de commun avec les conclusions de la « Tunisie martyre ».

Au parti, on sentait plus impérieusement que jamais la nécessité de la …………. Pour offrir des ……… Au cours des démarches à tenter auprès des autorités et de l’opinion publique françaises.

Taalbi n’avait donc plus rien à faire en Tunisie il arrive du quitter le pays pour aller vivre en Orient.

14 ans après, le néo-Destour, parmi ses revendications essentielles, n’oublie pas de réclamer le retour à Tunis celui que ses anciens camarades avaient abandonné à son sort.

Le 8 juillet 1937, « le père du Destour » -que Salah Ben Youssef est allé recevoir à Marseille- rentre dans son pays natal et, seuls, le Néo-Destour, ces militants et ses sympathisants réservent une réception grandiose.

Le grand meeting de Gambetta Parc en l’honneur du Cheikh Taâlbi :

Le 11 juillet, un grand meeting est organisé à Gambetta parc en l’honneur du Cheikh Taâlbi.

Bien que la réunion est annoncé pour 17 heures, la rôle à réussir pendant envahi les lieux deux heures plus tôt, chacun voulant être le plus près de la tribune.

Un micro et des haut-parleurs permettaient à l’innombrable assistance de ne pas perdre un mot du discours qui furent prononcés.

Face à la tribune, un emplacement avec table et chaise étaient réservés à la presse.

Les leaders firent leur apparition à 18 heures leur arrivait plus à lui et à une immense ovation est par les you-you des femmes venues nombreuses à ce meeting.

M. Bourguiba rappela que les précédentes réunions étaient placées sous la présidence d’honneur du Cheikh Taâlbi.

« Le 30 janvier dernier, je vous ai promis que notre réunion aurait lieu sous la présidence effective du père du Destour et j’ai tenu ma promesse puisqu’il est parmi nous. Il pourra, après 14 ans d’absence, établir la comparaison entre la mentalité tunisienne d’hier et celle d’aujourd’hui ».

Tahar Sfar définit le symbolisme du rôle de militant arabe du Cheikh qui a su porté avec honneur les couleurs tunisiennes auprès des autres pays d’islam comme aujourd’hui il apporte à sa patrie le souffle de vie qui anime l’Orient musulman.

Faisant une courte incursion dans le passé, l’orateur souligne que le mouvement actuel a été créé par la colonisation et la prépondérance des colonisateurs.

Il appelle l’oeuvre de Béchir Sfar, de Bach Hamba, les promesses faites par les grandes nations au pays de protectorat et eux colonies durant la guerre 1914-1918 et leurs volte-face et ne fois la paix signée.

C’est à cette date que fut fondée par le Cheikh Taâlbi le Destour et que commence son activité : création de journaux de combat, publication de « la Tunisie martyre ».

Le Cheikh exilé, la flamme a grandi :

Le Dr Materi dit ensuite la joie du peuple tunisien en ce jour mémorable et évoque les souvenirs de famille et de jeunesse qui l’unissent au Cheikh Taâlbi.

C’est en l’écoutant qu’il se rendit compte de la situation lamentable dans laquelle trouvait la Tunisie et le Cheikh fut en quelque sorte son père spirituel dans l’apostolat auquel il s’est voué.

Mohammed El-Rassaâ résuma l’œuvre politique du Cheikh en Orient, la campagne qu’il a menée contre la naturalisation … Il conclut en disant que le peuple tunisien doit tout faire pour conquérir ses droits et que son indépendance ne saurait tarder.

Habib Bouguetfa fit un court historique du mouvement destourien depuis le 5 avril 1922, mouvement dont l’objectif final est l’indépendance de la Tunisie.

Habib Meziou et Mahmoud Bourguiba déclament des poèmes de leur composition à l’adresse et en l’honneur du Cheikh.

Un ovation formidable ! C’est le Cheikh Taâlbi qui rend la parole.

Massif, imposant sans gestes, la voix grave, tantôt teintée d’émotion, tantôt caressante et souvent incisive, Taâlbi parla pendant trois quarts d’heure à un auditoire attentif et enthousiaste.

Il adresse ses remerciements au peuple tunisien, dont il est issu et auquel il a consacré sa vie et son activité.

Il dit que ce peuple est le descendant de ceux qui ont porté l’Islam et la civilisation en Europe, ainsi que les idées de justice et de démocratie.

Aujourd’hui, on lui donne une instraction expurgée de leur histoire pour faire oublier un passé glorieux.

Mais les Arabes l’appellent l’Islam l’appelle et tout doit être mis en œuvre pour la libération du pays et de l’Afrique du Nord.

Pour arriver au but, il suffit d’avoir de la volonté et tous les Tunisiens doivent être imbus de cette idée. Il faut vivre avec le siècle et ne pas s’encroûter, car aujourd’hui l’instruction et la richesse ne sont plus aux mains des tunisiens. Il ne leur reste plus que la croyance. Il faut tout reprendre et marcher de l’avant.

Les cris de « Vive la Tunisie ! Vive l’indépendance ! » terminent le discours frénétiquement applaudi du Cheikh Taâlbi.

Une tentative de remerciement entre les deux partis : le …………. Du cheikh Taâlbi paru dans « L’Irada » du 4 août.

Mardi soir, 25 Djoumada El Aoual 1356 correspondant au 3 août 1937, des délégués des deux organisations du Destour se sont réunis au domicile et sous la présidence du Cheikh Abdelaziz Taâlbi, fondateur du Destour.

Etaient présent Me Tahar Sfar, M. Moncef Mestiri, le Docteur Slimane B. Slimane, Me Taïeb Djemaïel, M. Mohamed Mehiri, Me Salah B. Youssef, Me Mohamed B. Miled, M. Chadly Khaznadar, Me Salah Farhat, M. Ali Bouhageb, Me Habib Bourguiba.

Un tour d’horizon a permis d’évoquer la question tunisienne et les conflits d’opinion violents auxquels elle a donné lieu et qui ont provoqué un fléchissement regrettable des relations cordiales entre certains membres des deux groupements.

La discussion a permis de reconnaître que des malentendus étaient à l’origine de ces conflits.

Les principaux points de divergence ont été discutés dans une atmosphère calme empreinte de cordialité, de confiance et d’espoir.

Cette réunion s’est prolongé jusqu’à 22 heures, à l’issue de laquelle une commission composée d’éléments pris dans les deux organisations a été désignée.

Cette commission comprend Me Tahar Sfar, le Dr Slimane B. Slimane, M. Ali Bouhageb et Salah Farhat.

Elle est placée sous la présidence du Cheikh Abdelaziz Taâlbi et a pour mission d’étudier les moyens d’unifier l’action politique. Puisse Dieu …//

Les travaux de la commission mixte sont entourés d’un mystère pour le moins inquiétant et l’accord ne semble pas sur le point de se réaliser.

Une difficulté a surgi : le Néo-Destour – toutes sections comprises – préconise l’arbitrage d’un congrès national et de l’opinion publique. Le vieux Destour s’y oppose implacablement.

La presse arabe –sauf l’Irada- mène campagne pour la proposition néo-destourienne et cette suggestion lui parait toute naturelle, le mouvement destourien, essentiellement démocratique, puisant son dynamisme dans les masses populaires et dans leurs consultations.

Le Cheikh Taâlbi, dans un nouveau communiqué à la presse, demande qu’on s’abstienne de discuter l’accord qu’il se propose de réaliser entre les deux partis et d’attendre son communiqué du 30 septembre courant.

Le communiqué du Cheikh Taâlbi paru le 3 septembre.

« Je lis dans certains organes de la presse tunisienne des articles où certaines personnes ont parlé mal à propos de la question de la fusion des deux partis destouriens, fusion dont je ne suis chargé, pour répondre favorablement à l’appel désespéré que le peuple tunisien m’a adressé après mon retour en Tunisie. Les auteurs de ces articles ont poussé jusqu’au plus haut point leur pessimisme et leur partialité manifeste et injuste au détriment de l’un de ses partis.

Il aurait pu s’abstenir de traiter cette question avant que je n’ai dit mon mot décisif de façon que les éléments raisonnables interprètent par l’attitude de ces écrivains trop enclins à écrire et à créer des troubles, dans le sens de soutenir un parti au détriment de l’autre, sans connaissance de cause. Ce qui est loin de servir l’intérêt général et apprécier mes efforts désintéressés. C’est pourquoi j’adjure les journaux pleins de bon sens de différer toute discussion de cette matière jusqu’au 30 septembre, date que nous avons fixée à ceux qui ne sont pas partisans de l’union, pour leur permettre de publier leur communiqué définitif, lequel portera à la connaissance du peuple les vérités qu’il ignorait. Je ne jetterai sur les journaux qui ne fermeront pas leurs colonnes aux propagandes factices et tendancieuses la responsabilité de l’échec de l’union par suite de leurs publications ainsi que celui des efforts sérieux que je déploie pour le bien de ce malheureux pays qui n’a jamais si cruellement souffert que des maux à lui provoqués par certains de ses enfants ingrats. Signé Abdelaziz Taâlbi.

  1. sous le titre : « Autour du communiqué du Cheikh Taâlbi », l’éditorialiste de la « Nahdha » 4 septembre) revient sur la question de la fusion des deux partis dstouriens.

Il reprend certains points du communiqué qu’il critique. Il combat l’idée d’un délai imparti à certaines personnes pour se prononcer. Le Cheikh n’est-il pas en mesure, dit-il, de donner, dès maintenant, son « jugement décisif » sur l’attitude de ces personnes ? ou bien obéit-il à un sentiment de pitié avant de les exécuter ?

La « Nahdha » n’est pas d’accord avec Taâlbi quand celui-ci adjure la presse et l’opinion publique de ne pas discuter la question de la fusion avant le 30 septembre. Il importe, au contraire, dit l’éditorialiste de saisir l’opinion publique de ce problème capital, de l’analyser à fond d’envisager ces différentes solutions et de développer publiquement, dans la presse, les arguments pour les arguments contre. Il faut que l’opinion soit éclairée et que le peuple, saisi de toutes les données de ce problème, se prononce en parfaite connaissance de cause.

Puis il s’excuse auprès du Cheikh en lui faisant remarquer qu’il est plus au courant que lui de la mentalité actuelle du peuple tunisien. Ce dernier a beaucoup évolué depuis 1923, date à laquelle Taâlbi a quitté la Tunisie. Que le grand leader considère l’accueil grandiose que lui a fait en 1937 ce peuple qui, en 1923, s’était désintéressé de lui et de la question tunisienne ! Donc l’état d’esprit de la population a, grâce aux efforts inlassables du Néo-Destour, beaucoup évolué, c’est pourquoi l’opinion publique, si patiemment éduquée et disciplinée, tient aujourd’hui à être saisie du différend et à se prononcer elle-même en toute liberté dans un congrès national.

Le Cheikh Taâlbi, dont les idées démocratiques ne font de doute pour personne, ne peut qu’accueillir avec empressement ce désir du peuple qui est le seul intéressé, de vouloir discuter librement du problème et de trouver lui-même la solution qui s’impose, d’autant plus qu’il sait pertinemment que l’arbitrage d’un seul homme est susceptible d’erreur, à moins que cet homme ne soit un prophète.

Combien le Cheikh aurait été plus affligé si, après 15 ans d’absence, il avait constaté chez le peuple, au lieu de ces légitimes et louables aspirations, cette inertie et cette soumission d’un troupeau de moutons docile et inconscient. Il n’aurait pas pu, après son retour sur cette terre qu’il chérit, s’écrier avec enthousiasme que le grain par lui semé a levé et fructifié.

Le Cheikh, déplore par ailleurs, que certaine presse ait pris parti pour tel ou tel groupement. C’est tout à fait humain, dit l’éditorialiste. Il est naturel que l’homme, sollicité par deux tendances différentes, opte pour celle qui lui parait grouper les hommes les plus intègres, les plus sincères et les plus dévoués. C’est tellement vrai, ajoute-t-il, que Taâlbi lui-même, dans son communiqué, laisse assez transparaître sa préférence ? Nul ne saurait lui en faire grief quand il quitterait son rôle d’arbitre …

Le 5 septembre, le Cheikh Taâlbi adresse à la presse la mise au point ci-après :

« Le bruit court que l’appel adressé par moi aux deux partis du Destour tend à la fusion de ceux-ci. C’est de la mauvaise foi de la part des semeurs de discorde.

En réalité, on appel ne vise qu’à trouver une entente intermédiaire pour établir une liaison entre les deux partis et mettre fin au malentendu, tout en laissant à chacun d’eux sa liberté d’action. La commission de liaison constituée par les deux partis a donné son adhésion à ce sujet. Elle a également admis en principe la constitution d’un Commission supérieure. Il n’y a eu de désaccord que sur les détails touchant à la délimitation des attributions de cette commission.

Ce désaccord émane du Bureau Politique du Néo-Destour qui a demandé une fusion immédiate à prononcer par un congrès –ce que j’ai refusé parce qu’il me paraissait susceptible de rallumer la discorde avant que je n’arrive à l’apaisement et à l’oubli du passé, avec tout ce qu’il rappelle d’accusations fantaisistes qui ne sauraient plaire à personne. Avant de terminer, je renouvelle mon appel à tous les tunisiens, particulièrement à la jeunesse vaillante, pour prendre patience en attendant de savoir la vérité, de se ranger au parti de l’Union sacrée et de répudier la discorde qui ne profite à personne.

Le même jour, « En-Nahdha » publie en réponse au communiqué du Cheikh Taâlbi du 3 septembre, le communiqué ci-après du Bureau politique du Néo-Destour :

« Nous regrettons beaucoup certains termes du communiqué de Taâlbi qui dénotent un esprit de parti-pris alors que l’autour de ce communiqué demande à la presse d’observer une attitude neutre. Sous forme d’allusions il accuse les dirigeants du néo-destour de se refuser à l’union alors qu’en vérité, ils ont simplement refusé de partager le point de vue du Cheikh quant à la procédure à suivre en vue de la réalisation de cette union. Nous avons dégagé pour le Cheikh les dangers que comporte l’application de la procédure qu’il propose et qui consiste à confier à une haute commission, composée des partis destouriens, des pouvoirs étendus en matière politique. Nous avons jugé qu’il valait mieux réaliser une union profonde en déférend les deux bureaux devant un congrès groupant les délégués des sections affiliées à l’un et à l’autre parti. Cette procédure nous semble répondre davantage au désir et aux aspirations du peuple.

Est-ce parce que nous sommes d’un avis différent de celui du Cheikh quant à la procédure à suivre que cela signifie une obstruction contre l’union ? Non pas certes ! ce qu’il y a de plus extraordinaire encore, c’est de voir le Cheikh imposer aux gens d’attendre qu’il porte son jugement décisif et qu’il dévoile la vérité alors que, pour nous, nous ne l’avons pas chargé d’arbitrer le différend. Il nous a simplement offert son entremise, en vue de trouver une solution satisfaisante du conflit qui sépare les deux tendances. Nous avons accepté ses offices, par égard pour son âge et par estime pour sa personnalité. Mais, nous ne pouvions l’accepter comme arbitre dans une affaire déjà jugée par le peuple longtemps avant son arrivée en Tunisie, lequel a exprimé ouvertement son opinion, sans aucun doute.

Le Cheikh Taâlbi a donc certainement mal compris sa mission et a outrepassé les limites de son rôle. Nous ne saurions l’admettre de personne. Nous n’avons pas le droit de désigner le Cheikh comme arbitre sans consulter les organismes réguliers du parti ni lui laisser le soin de décider d’une question déjà réglée définitivement par celui-ci après l’avoir minutieusement étudiée au cours de ses congrès. Le Cheikh confond son rôle de conciliateur avec celui d’arbitre et la différence est, bien entendu, très grande entre ces deux rôles. Cependant, nous voulons voir dans cette confusion une erreur d’interprétation et non, jusqu’à présent du moins la manifestation d’une mauvaise foi, de peur de nous tromper.

Le Cheikh Taâlbi, ramène triomphalement en Tunis par le Néo-Destour, manifeste, de jour en jour, sa sélection pour ses camarades du vieux Destour.

La « nahdha » du 13 septembre rappelle certains avatars du cheikh et qu’aucun de ceux qui s’empressent  aujourd’hui, autour de lui ne l’a accompagné le jour de son départ de Tunisie , n’a évoquée son souvenir durant sa longue absence ne s’est intéressé à sa famille. Les vieux destouriens auraient tout fait pour s’opposer au retour à Tunisie ou cheikh alors que le Néo-Destour et la presse arabe locale intervenaient sans  cesse pour obtenir son rapatriement. Cette attitude du vieux Destour, affirme l’auteur de l’article, le cheikh la tient de source officielle et il n’a pas manqué d’en faire part à son ami Ali Kahia dans une lettre où il disait tout son écoeurement.

Cette opposition au retour du cheikh dans son pays natal a échoué et les vieux destouriens ont décidé de lui réserver un accueil des plus froids alors que le Néo-Dostour désignait Salah Ben Youssef pour le recevoir à Marseille et l’accompagner à Tunis.

Ils auraient interdit – toujours selon la « Nahdha » – à leurs partisans d’aller accueillir le Cheikh, de prendre part à la réception grandiose que lui a réservée le Néo- Destour et le peuple tunisien et seulement permis d’aller lui rendre visite individuellement.

En  accaparant aujourd’hui le Cheikh le vieux destour voudrait remonter à la surface grâce au prestige du cheikh ou sombrer avec lui.

« La Tunisie Française »  du 10 septembre consacre un long article au « cheikh Taalbi et les rêves déçus ». René de la Porte y commente un filet que « l’Action Tunisienne » a décoché au cheikh- il y ajoute que le cheikh Taalbi, en acceptant de dîner en tête à tête  avec le Résident général, a donné une arme efficace pour saper son prestige.

Voir l’article :

« Nous avons publié intégralement le filet que l’Action Tunisienne organe officiel du Néo-Destour a décoché au cheikh Taalbi, en manière de réponse à « l’encyclique pour l’union » adressée il y a quelques jours à tous les journaux arabes pour recommander, sous peine d’excommunication majeure, l’abandon de toute polémique sur ce sujet jusqu’à la fin du mois.

Ce texte est particulièrement suggestif ; il résume à sa manière – celle du Néo- Destour – le revirement d’opinion du « peuple tunisien, devenu majeur », à l’égard du Cheikh Taalbi.

Lors de son arrivée, « 1e peuple tunisien lui a réservé une manifestation grandiose, tendant à commémorer le souvenir des premières luttes et des premières tentatives encore vivantes dans la personne du cheikh Taalbi ». Ce filet ne dit pas que l’initiative de cette manifestation grandiose fut prise par le Néo-Destour, dans le but visible de monopoliser le prestige dont quatorze années d’exil avaient auréolé le cheikh. Des pages entières de « l’Action Tunisienne » célébrèrent sa gloire, non sans quelques allusions voilées aux « lâchages » dont le cheikh Taalbi avait été victime de la part de ses anciens compagnons du vieux Destour. La tentative d’accaparement ne réussit sans doute pas puisque le filet de l’Action Tunisienne poursuit : « Mais après cette commémoration, le peuple – lisez le « Néo-Destour » a été déçu en quelque sorte par la manière où se marquait nettement sa sympathie pour ses anciens camarades de lutte ».

A cette conduite inattendue, le « peuple tunisien » a répondu : il a « tenu à donner au cheikh une indication afin de l’amener à une compréhension plus saine de l’atmosphère du pays dont il a été éloigné pendant quatorze ans ». D’ou « sur tout son trajet (dans le sahel) à Sousse, à M’saken, aux Souassi, les gens acclamaient le bureau politique (du Néo- Destour ) et manifestaient leur aversion pour la mascarade que le cheikh a tenu, par gageure, peut –on dire à traîner avec lui ». Cette mascarade était, sans doute, constituée par la simple présence de partisans du vieux Destour qui l’avaient accompagné dans sa tournée dans la vallée de la Medjerdah et au Cap Bon.

Et « l’Action Tunisienne » ajoute : « La leçon a-t-elle porté ? Nous n’en savons absolument rien, l’avenir seul nous l’apprendra. On nous dit que le cheikh a l’habitude d’apprécier tout avec ses susceptibilités et ses rancunes. Si les propos qu’on nous a rapportée ne sont pas exagérés- car nous ne prétendons pas connaître à fond la psychologie du personnage – il y aura bien des lunes qui passeront avant qu’il n’arrive à comprendre les exigences salutaires du devoir national ».

Où sont les fleurs d’antan et les louanges sans réserves au caractère, au désintéressement, à l’expérience et à l’habileté politique de celui qui est devenu  « le personnage » dont on ne connaît pas à fond « la psychologie » ?

Le cheikh Taalbi a eu tort, aux yeux du Néo-Destour de ne pas se laisser accaparer par la nouvelle organisation et de ne pas renier ses anciens camardes de lutte. Il a eu le tort de prêcher l’union et de ne pas se mettre carrément à la remorque des nouveaux venus dans l’arène politique qui l’auraient volontiers placé à leur tête, pourvu qu’il s’engageât à les suivre sans discussion.

Mais le cheikh Taalbi a peut –être eu un autre tort. Il n’a pas senti, malgré toute la finesse qu’on lui prêtait, qu’il ne devait pas donner à ceux qui pouvaient jalouser son influence d’armes d’usage facile pour la combattre et la détruire.

Beaucoup de choses paraissent normales, dans la mentalité orientale, sous figure de politesse fleurie ou d’habileté verbale. Que le cheikh Taalbi prié de venir de venir à la résidence y ait prononcé des paroles d’apaisement cela ne pouvait être traduit que comme une manière efficace d’assurer la tranquillité de son séjour et l’acceptation bienveillante de sa propagande ; s’il suffit de mots pour faire passer la besogne utile, jamais aucun reproche n’atteindra ceux qui ont eu l’adresse de les dire au moment voulu ; ils ne seront pas le moins du monde déconsidérés si l’on apprend qu’au surplus, ils ont eu l’habileté d’obtenir subsidiairement quelques avantages tangibles.

Mais, lorsque le cheikh Taalbi a reçu une invitation à dîner à la résidence générale et l’a acceptée, avec l’aggravation qu’il devait s’y trouver en compagnie d’un musulman naturalisé français servant d’interprète, il n’a évidemment pas su prévoir l’usage qui serait fait de ce geste contre lui et contre son influence. Que son hôte s’y soit laissé prendre et en ait attendu un renforcement de prestige pour celui qu’il mènerait d’une marque si particulièrement estimé et de confiance, cela peut encore s’expliquer par une certaine inexpérience psychologique de la mentalité musulmane et des rivalités de personnes ou de cofs en ce pays. Mais que le cheikh Taalbi n’ait pas su voir qu’il y perdait toutes chances de réussite de la mission qu’il s’était ou qu’on lui avait confiée, -cela nous fait douter de sa finesse tant vantée et du sens très aigu des réalités politiques qu’on lui prêtait.

Le filet de l’Action Tunisienne est bien démonstratif de l’échec des illusions qui ont pu être mises dans le prestige et l’activité du cheikh Taalbi. S’il avait su –si l’on avait su- les conséquences de ce repas indigeste, conséquences cependant facilement prévisibles, l’économie aurait pu an être avantageusement faite.

Le 14 septembre, le journal « Al Irada », organe officiel du vieux Destour, directeur Moncef El Mestiri, publie, sous le titre « O Patrie ! Que de crimes on commet en ton nom », l’article ci-après que nous donnons en traduction :

Quelle honte ! Quel scandale ! Qu’il est triste le sort du peuple tunisien par la faute de certains mauvais éléments. Nulle part au monde, il n’y a, comme en Tunisie, un peuple qui combat son unité ouvertement – car les peuples savent que, ce faisant, ils préparent leur fin !

Le seul, l’unique leader, le vénéré cheikh Abdelaziz Taâlbi était rentré en Tunisie avec d’excellentes intentions pour son peuple et pour ceux qui se disent ses chefs : il a fait appel aux deux clans les a réunis chez lui et a fait appel à leur union ; il a tenté d’apaiser les rancunes personnelles et leur a montré l’intérêt supérieur de la patrie. Le Cheikh Taâlbi a développé longuement ce sujet, s’adressant à la logique de ces interlocuteurs, avant de faire appel à leur sentiments, et tous s’étaient inclinés devant lui, tous avaient promis de hater l’union, tous ont signé le manifeste rédigé par le seul et unique leader, le Cheikh Taâlbi, pour porter la réjouissante nouvelle au peuple.

Même les membres du Néo-Destour étaient alors d’accord : seul le Dr. Sliman fit des réserves, poussant ses camarades à demander la convocation d’un congrès avant tout accord.

Cependant Me Habib Bourguiba fut des premiers à rejeter cette proposition ; le manifeste d’union fut alors signé par tous, même par le Dr. B. Sliman.

Nous voudrions maintenant poser quelques questions à ceux qui se déclarent aujourd’hui adversaires de cette union :

Si vous êtes sincères, si vraiment vous croyez que nous sommes des traîtres –quel gros mot ! – et que nous n’avons plus la confiance du peuple, que nous n’avons plus personne derrière nous, alors pourquoi êtes-vous avec nous ? Pourquoi avez-vous consenti à donner votre accord à un début de fusion ? …

Si vous êtes aussi des démocrates, comme vous le prétendez, si vous estimez nécessaires, obligatoires la consultation et la sentence du peuple, pourquoi avez-vous accepté, sans un congrès, d’entrer en contact avec nous. Pourquoi avez-vous repoussé la proposition de votre camarade le Dr. Ben Sliman ?

Est-ce que vous avez consulté le peuple ou le congrès quand vous vous êtes détournés de votre idéal d’indépendance et avez applaudi à l’idée de voir la Tunisie, qui a une personnalité –propre, reconnue par toutes les nations, faire partie de l’empire Français ? vous avez ainsi ressuscité l’idée du Dominion landée par Me Guellaty et ses réformistes, idée repoussée vigoureusement par le peuple …

Est-ce que vous avez consulté le peuple, le Congrès ou même vos cellules, quand vous avez reconnu la co-souveraineté ?

Est-ce que vous avez consulté le peuple, le Congrès ou les cellules lorsque vous avez accepté les droits acquis revendiqués par les colonialistes ?

Non ! Vous avez admis ce principe dangereux qui fait tout est entre les mains des français …

Ce qui fait que maintenant, si nous protestons, on nous répond : droits acquis ! Et ceci a été illustré dernièrement lors de la réunion d’une commission de fonctionnaires ; les fonctionnaires tunisiens, ayant demandé à avoir les mêmes droits que les français, ceux-ci s’y opposèrent en mettant en avant le principe des « droits acquis » reconnu par vous !

Une autre question encore : souvent le pays a connu les malheurs, et pourtant, jamais il n’a autant protesté comme il le fait en ce moment – contre l’union ? Nous voyons en ce moment tomber une pluie de protestations …

Vous avez donc enseigné à vos militants de ne pas s’intéresser aux malheurs du peuple pour ne s’occuper que des querelles de personnes ?

Mais nous savons que tous vous êtes guidés par Me Habib Bourguiba, M. Chenik et ses partisans, « La Nahdha » et sa compagnie, sans oublier le cheikh Ferchichi … vous n’êtes que des moutons de panurge, obéissant aveuglement à Me Habib.

En vous disant pourtant des démocrates !

En réalité, Me Habib Bourguiba ne veut pas de l’union de peur de voir disparaître sa qualité de leader et son prestige en présence du seul et unique leader, le cheikh Taâlbi … Me Bourguiba croyait que le cheikh serait uniquement un symbole et qu’il le laissera ; à ses calvacades, quand le cheikh a dit : « Je suis revenu pour travailler dans ma patrie », il ne s’amusait pas ……………………….

La guerre des deux Destours se poursuit.

Le cheikh Taâlbi passe à l’action.

Accompagné d’une équipe de vieux Destouriens, il a entrepris une grande tournée de propagande et obtenu un succès réel dans le Cap Bon, à Hammamet, à Menzel.

Mais H. Bourguiba prend les devants dès que le cheikh manifeste l’intention d’aborder le Sahel – il organise de grandes réunions, lance l’idée d’un plébiscite national, appelant le peuple à choisir entre Taâlbi et lui à la première défaite de Taâlbi au Sahel il dénoncera l’action malfaisante de Taâlbi – « L’Irada » est brûlée sur la place publique à Sfax.

C’est le moment que choisiront les prépondérants pour retarder à nouveau les réformes en épaulant le vieux Destour.

Le 254 septembre 1937, le Néo-Destour a tenu une réunion à Mateur qui s’était déroulé sans incident.

Le lendemain, 25 septembre, les vieux destouriens accumulant armes et couteaux dans leur local.

Le chef de leur section a une longue entrevue avec le contrôleur civil de Bizerte au siège du caserne de Mateur.

Dans l’après-midi, gendarme et spahis sont réquisitionnés et le contrôleur civil, escorté de deux voitures fourrées de gendarmes, s’engage sur la route de Tebourba. Peu après, il revient seul.

A dix-sept heures, trois voitures débouchent en trombe de cette route : la première et la dernière transportent des gendarmes armés, en position de combat ; celle du milieu est occupée par le cheikh Taâlbi et quelques-uns de ses disciples. Elles pénètrent en ville à 80 à l’heure. Les gendarmes déposent le cheikh Taâlbi et ses compagnons au local du vieux Destour et s’en vont.

Hamouda Mihoub, chef de la section, prononce un discours violent contre le Néo-Destour devant la foule massée devant le local.

La foule unanime crie : « Abas le Cheikh Taâlbi et le comité exécutif du Destour ».

Un coup de feu est tiré du local du Vieux Destour. La victime âgée de 55 ans, est tuée sur le coup.

Ce fut ensuite le tour des matraqueurs.

La foule se défend.

Les gendarmes, les spahis et la police surviennent après les incidents sanglants sur indication des vieux Destouriens, des néo-destouriens sont arrêtés devant le local de la section destourienne et dans la ville mise en état de siège.

La provocation est tellement manifeste que la « Nahdha » écrit le 27 septembre 1937 : « Le cheikh Taâlbi a un intérêt personnel à troubler l’atmosphère tunisienne !

Dix jours plus tard, -Bourguiba étant encore à Paris-, la manœuvre recommence et le théâtre des incidents est, cette fois, Béja.

Le 3 octobre 1937, les autorités locales font couvrir le bruit d’une visite du cheikh Taâlbi : la population est en effervescence Béja est mise en état de siège. Dans la carrière de Kouka, le capitaine Base de la gendarmerie veut disperser les manifestants – on compte 1 mort et plusieurs blessés.

Taâlbi renonce à ses tournées de propagandes.

H. Bourguiba, pour confondre les vieux destouriens rend publique une lettre loyaliste adressée par eux à M. Peyrouton au moment où ses camarades et lui étaient à Borj-Le Bœuf et annonce la réunion d’un congrès National devant lequel il convoque Taâlbi.

Le Cheikh se retire brusquement de la vie politique.

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