Compte rendu intégral du procès Ben Salah 1970 (S. Belhassen )

 

Le compte rendu intégral du procès de Ben Salah

 

Compte rendu d’audience par Souhayr Belhassen

Mardi 19 mai, 9 heures.

La matinée est consacrée à la lecture de l’acte d’accusation

Le procès d’Ahmed Ben Salah, ancien secrétaire d’Etat au Plan et à l’Economie de Tunisie, s’est déroulé du 19 au 23 mai 1970 dans une caserne du Bardo, à quelques kilomètres de Tunis.

Au banc des accusés, aux côtés d’Ahmed Ben Salah, Amor Chechia, ancien gouverneur, Béchir Ennaji, proche collaborateur de l’ancien ministre, Hadi Baccouche et Nougi Fékih, anciens gouverneurs, Tahar Kassem, ancien président de l’Union des coopératives, et Brahim Hayder, ancien direc­teur adjoint du Parti socialiste destourien.

La Haute Cour face aux accusés est ainsi constituée : pré­sident Mohammed Farhat : procureur général : Me Bouslama : juge : MM. Bachir Zarg Aïoun, Mahmoud Charchour, Mahmoud Zhioua et Abdelaziz Bouraoui.

Principaux avocats : Mes Taieb Miladi, Hédi Ladjimi.

Avocats étrangers : Mes Ben Abdalah (Algérien), Pierre July et Henri Gammonet (Français).

Mardi 19 mai, 15 heures.

Interrogatoire de Ben Salah.

Souriant et détendu, passionné et véhément, Ben Salah à la barre ne perdra jamais ni son assurance (néanmoins, il répondra au président en mâchant des pastilles) ni ses qualités d’orateur. Il mettra très souvent les rieurs de son côté par des jeux de mots ou d’expressions populaires. Sans cravate et en l’absence de ses six coaccusés, il aura durant cette première séance surtout à se défendre contre le chef d’accusation suivant abus de pouvoir caractérisé notamment par la généralisation des coopératives et la tentative d’abolition du secteur privé. Contre cette accusation, Ben Salah sera très à l’aise pour se défendre en insistant sur …. foi et sa conviction profonde d’être dans le droit…. Tout ce qu’il a entrepris politiquement, affirme-t-il, …. au grand jour et donc au vu et au su de tout le …. S’il omettait de communiquer certains détails au …. l’Etat, c’est que ce dernier, optimiste de nature, lui …. confiance. Il n’avait pas à s’inquiéter de problèmes …. toute provisoires, puisqu’il pensait les résoudre. …. menant une discussion serrée avec la cour, face …. procureur général virulent, Me Abdelmajid Bouslama, …., M. Mohammed Farhat, donnera très souvent ….ion d’être débordé. Quant à la défense, elle est ….. existante. Ben Salah évitera de mettre en cause …. même si, emporté par son discours, il s’est parfois ….. à le faire.

….era le nom de personne, mais, à chaque fois que …. citera quelqu’un qui a déposé ou fourni des …. contre lui, il sera virulent.

Le président. En 1956 déjà, vous soumettiez au président une étude économique adoptée par l’UGTT.

Ben Salah. Oui, mais le président m’a déclaré que ce n’était pas le moment et j’ai laissé tomber.

Le président. Mais déjà à ce moment-là vous pensiez à une politique économique progressiste, où on pouvait percevoir nettement votre tendance « rouge ».

Ben Salah. Moi, « rouge » ? C’est bien la première fois que je l’entends dire. Je combattais contre tout ce qui était rouge. Il y avait même des gens qui m’accusaient d’être un bourgeois.

Le président. Depuis 1962, vous vous acharnez à mettre en place les unités de production. Ben Salah. Là, je voudrais préciser que je n’ai dirigé le département de l’agriculture qu’à partir de fin 1964. Mais puisque de treize ans de travail on n’a l’air de retenir que l’aspect négatif, tant pis ! Ce qui est positif, bien sûr, ne peut être mon oeuvre. Mais j’ai été et je suis toujours convaincu que c’était la seule voie de développement pour la Tunisie. Je me suis attaqué aux réformes les plus difficiles, mais j’assumerai mes responsabilités jusqu’au bout et je ne les nierai pas. L’histoire sera juge.

Le président. Que veut dire d’après vous ce vers que nous avons trouvé dans vos papiers : « Oedipe, où vas-tu ? Je réponds que j’y vais. »

Ben Salah. C’est un vers d’un poète du XVIIIe siècle. Il m’avait frappé et je l’ai noté. Il a maintenant une étrange résonance. Mais laissons ça, c’est de la littérature, de la philosophie…

Le président. Durant l’été 1969, vous envoyez à la signature du chef de l’Etat, sans mettre au courant les autres membres du gouvernement, le texte de loi sur la réforme agraire.

Ben Salah. Je n’ai pas créé ce texte seul, il a été élaboré au sein de commissions à l’UNC (l’Union nationale de la coopération), étudié au bureau politique et ensuite transmis au président non pour signature, mais pour information. Je lui en avais déjà parlé dans les grandes lignes. Depuis quand le président signe-t-il des textes de loi en français ? Et le texte était en français.

Le président. Vous le lui avez envoyé par l’intermédiaire d’un motard.

Ben Salah. Ce n’était pas la première fois que j’envoyais un document de cette façon.

Le président. Ce texte consacrait la collectivisation des coopératives, ce qui allait à l’encontre des options du congrès de Bizerte, et à l’encontre des directives de Bourguiba.

Ben Salah. Mais, de toute façon, dès qu’il y a eu un signe d’opposition, je n’ai pas discuté. La preuve : tout de suite, nous avons siégé, MM. Bahi Ladgham, Bourguiba junior et Hamadi Snoussi, afin de le revoir et de soumettre au président un deuxième texte qui n’a pas été approuvé pour autant. Va-t-on à présent juger M. Bahi Ladgham parce que ce texte n’a pas été approuvé ?

Le procureur général. En choisissant le 3 août (date de l’anniversaire de Bourguiba) pour la mise en application de cette loi, vous vouliez lier le nom de Bourguiba à la politique de généralisation des coopératives.

Ben Salah. Je l’ai choisi pour qu’elle reste un symbole d’une révolution dans le monde agricole. Et le président ne m’a pas paru choqué par ce choix.

Le président. En généralisant les coopératives, en faisant disparaître la propriété privée, et en réalisant la généralisation des coopératives, vous réalisiez enfin vos ambitions politiques ?

Ben Salah. Mes ambitions économiques ! On m’a donné la possibilité de mettre en pratique mes convictions, je l’ai fait ! Mettez-vous à ma place ! (pas ici, bien sûr !) Y a-t-il eu une seule personne pour me dire non ? Lorsqu’on m’a dit non, eh bien, qu’ai-je fait ? Je me suis arrêté ! Le procureur général. Cette généralisation n’allait pas sans déboires et plusieurs de vos proches collaborateurs ont attiré votre attention sur la gravité de la situation, ainsi que des techniciens…

Ben Salah. Les techniciens ?… Techniciens d’occasion ! Qu’ils crèvent !

Le procureur général. Avez-vous fait état de la situation au président ?

Ben Salah. Le chef de l’Etat croyait en notre réussite et en notre marche sur « la voie du progrès ». J’y crois moi- même avec assez de force pour penser et dire au président qu’une réforme aussi importante ne pouvait forcément recueillir l’adhésion de tout le monde. Mais les faiblesses et les difficultés que rencontraient ces réformes n’étaient que provisoires. Etant donné ma conviction profonde, en la réussite et ma bonne foi, je ne pouvais l’induire en erreur en lui parlant ainsi.

Le président. L’extension du système coopératif a provoqué le mécontentement dans le pays. On utilisait la contrainte pour obliger les gens à entrer dans les coopératives.

Ben Salah. J’ai généralisé, mais je n’ai jamais contraint personne. Il y a en effet des responsables qui sont intervenus directement. Certains d’entre eux sont aujourd’hui dans cette salle.

Le president. Vous persévérez dans votre politique impopulaire malgré ces mises en garde et même ces rapports : par exemple celui du directeur de la Banque nationale agricole.

Ben Salah. Oui, daté du 15 août 1969, alors qu’il a senti le vent tourner. Mais M. Hassen Belkhodja faisait entrer les gens dans les coopératives à coups de poing à Ras Djebel !

Le procureur général. Vous oubliez qu’une lettre dans le même sens vous avait déjà été envoyée en mai 1968 par le directeur de cet organisme. De plus, le gouverneur de la Banque centrale a également attiré votre attention sur le danger d’une généralisation hâtive et il vous a même fourni des chiffres.

Ben Salah. Puisqu’ils prétendent avoir été au courant de la situation et avoir été en possession des chiffres exacts, pourquoi ne pas les avoir communiqués au chef de l’Etat ?

Le procureur général. L’option fondamentale du congrès de Bizerte préconise la coexistence des trois secteurs.,..

Ben Salah. Oui, c’est d’ailleurs moi-même qui ai rédigé la motion économique…

Le procureur général. Attendez, laissez-moi continuer : comment expliquez-vous la multiplication des unités de production et qu’il n’y ait plus eu qu’un seul système d’exploitation : les coopératives ?

Ben Salah. J’ai respecté la doctrine des trois secteurs, mais je n’estimais pas que ces trois secteurs devaient exister dans tous les domaines de l’économie ; cela n’empêche pas d’ailleurs le respect de la propriété privée au sein de la collectivisation.

Le président. Les structures de coopératives étaient telles qu’elles vous ont permis d’avoir des hommes à votre dévotion et de servir ainsi votre soif du pouvoir.

Ben Salah. J’ai été appelé au pouvoir, je ne l’ai jamais cherché. J’avais de lourdes charges au moment où on m’a proposé l’Agriculture. Je n’ai jamais demandé l’Agriculture. De cela, deux personnes ont été témoins : MM. Bahi Ladgham et feu Taieb Mehiri. D’ailleurs, j’ai demandé à être secondé par des sous-secrétaires d’Etat.

De même pour l’Education nationale : le président me l’avait proposée après les événements estudiantins M. Med …. dit d’avoir un accident. J’ai refusé. Mais le chef …. qui avait présidé à deux ou trois reprises la …. de l’enseignement du parti, voulait que l’ensignement et l’économie aillent de pair. Tout ce que j’ai fait, …. au grand jour et tout le monde était d’accord.

Le procureur général. Mais vous avez décidé seul de porter ….icie des collectivités agricoles de 345 000 à 4,5 …. d’hectares.

Ben Salah. Jamais de la vie ! Ce ne sont pas des décisions ….. les, mais générales. Au cours des réunions des ….. du Comité central du parti, nul ne l’ignorait. Et ….. s’y est opposé ! Sauf peut-être un seul, qui sem­-….. ent. Si vous voulez que je dise son nom, je suis ….. nommer. Je le dis ?

ent.

Ben Salah. C’est M. Hédi Nouira.

Le procureur général. Selon les statistiques…

Ben Salah. Quelles statistiques ? Parce que maintenant il …. sortes de statistiques.

Le procureur général. reprenant avec violence. Selon les ……es, près de 300 coopérateurs ont été emprisonnés …..ournement de fonds.

Ben Salah. Et combien de fonctionnaires de l’Etat y sont …..r le même motif ?

18h50.

de l’interrogatoire de Ben Salah sur le deuxième …. accusation, les irrégularités et les avances de tréso- …… rant cette séance, Ben Salah se lance souvent  dans ….. cations confuses, on revient deux ou trois fois sur ….. question.

…. dent lit un passage de la déposition de M. Rassaâ…. secrétaire d’Etat aux Finances et au Développement, ….ent ministre des Finances, où il est question des …. de trésorerie effectuées sur ordre de M. Ben Salah.

Le président. Selon la loi, vous en êtes responsable.

Ben Salah. Le parlement, c’est le secrétaire d’Etat qui en est responsable, mais auparavant la signature du sous-secré­taire d’Etat doit y figurer. Ce sont des avances, non des subventions. Cela suppose qu’elles vont être remboursées. Ces avances s’élevaient à 105 millions de dinars au moment où j’ai été nommé. Elles ne sont plus que de 79 millions de dinars. Rares sont les ministres qui ne dépassent pas le budget qui leur est alloué. On leur fait des avances sur l’année.

Le procureur général. Avances pour le budget ordinaire, non de trésorerie.

Ben Salah. Les imprévus et les avances aux entreprises pour qu’elles remboursent des prêts étrangers m’ont obligé à dépasser les normes.

Le plan spécifie que ces avances doivent aider à sa gestion.

Le procureur général. élevant la voix. Selon la constitution, article 36 : « Tout engagement financier doit être soumis au parlement. »

Le président. Vous n’avez pas informé l’Assemblée nationale des avances de trésorerie.

Ben Salah. Je n’ai fait que répondre aux questions qu’on me pose à l’Assemblée nationale.

Le président. Vous autorisiez les avances de trésorerie à des entreprises qui distribuaient des bénéfices. C’est une véritable tromperie…

Ben Salah. Je n’ai peut être pas agi régulièrement. Mais, lorsque vous me dites que j’ai caché la vérité, je réponds non. Donnez-moi des preuves de mon désir de camoufler quoi que ce soit.

Le procureur général. Vous avez intentionnellement caché la vérité à l’assemblée nationale …. Vous avez effectué une avance de trois millions de dinars à l’usine de cellulose qu’on a passée par la suite dans les pertes et profits.

Ben Salah. Il faut que j’en reprenne l’historique…

Le procureur général. Tout engagement financier doit être approuvé par l’Assemblée.

Ben Salah. Alors, Monsieur le Président, on va me laisser parler ou pas ? Si vous criez, je peux crier autant que vous !

Le président. Vous n’allez quand même pas vous quereller !

Ben Salah. Non, c’est un trop charmant garçon !

Rires.

Le procureur général. Les unités agricoles de production ont provoqué dans un gouvernorat un déficit de 450 mil­lions.

Ben Salah. Et alors, s’il y a un déficit dans un gouvernorat, est-ce moi qui en suis responsable?

Le procureur général. Non, mais les avances de trésorerie étaient destinées à cacher l’échec des coopératives. C’est pourquoi vous n’informiez pas l’Assemblée nationale.

Ben Salah. Tous, nous sortons un jour ou l’autre du droit chemin. Et je ne vise personne.

Le procureur général. Pourtant, l’article 36 de la constitution spécifie que toute avance de trésorerie doit être approuvée par le pouvoir législatif. C’est clair et vous êtes professeur d’arabe: vous comprenez l’arabe…

Ben Salah. J’ ai perdu mon arabe (en français).

Rires.

Le procureur général. Malgré le mécontentement populaire, vous continuiez à généraliser les coopératives et vous les renflouiez pour faire croire au chef de l’Etat que votre politique était une réussite. Vous trompiez la confiance du président.

Ben Salah. Le président avait entière confiance en moi, il n’y avait pas à désirer plus ! Malheureusement, depuis 1956, depuis l’affaire syndicale, on m’a prédit cette journée. Des gens me menaçaient de ce qui m’arrive aujourd’hui. On est venu jusqu’à mon bureau proférer ces menaces ! Un responsable actuellement au gouvernement est venu me menacer ! Mais j’ai peur, je ne dirai pas son nom ! Il y a des personnes qui enviaient la confiance que Bourguiba avait placée en moi, car qui a fait de moi un secrétaire général, un ministre, et le reste, sinon Bourguiba ?

Le président. Oui, mais Bourguiba, vous l’avez trompé honteusement, vous l’avez essayé particulièrement en créant le système coopératif et en plaçant vos gens partout pour porter atteinte au parti.

Le procureur général. Voici un extrait du discours du président du 9 novembre :« Il a falli nous entraîner dans l’abîme par sa soif du pouvoir, son ambition démesurée, son action démagogique. »

Ben Salah. Oui, mais il ajoutait : « Il allait nous entrainer tous et lui-même dans l’abîme. » Cela prouve que, par tension du système coopératif, je commettais une erreur dont je ne me rendais pas compte moi-même et que j’étais donc de bonne foi. Ce dont je suis sûr, Monsieur le Président, c’est que ni le chef de l’Etat ni le peuple tunisien ne se réjouissent de ce qui m’arrive. Mais il y a une clique qui maintenant se réjouit. C’est elle qui a fêté au whisky mon départ du gouvernement.

Le Président. Vous distribuiez à des agents et fonction-…­ n’étaient pas habilités à les recevoir des primes …..des amendes et transactions de la douane.

Ben Salah. Je ne suis pas le seul responsable. Mais je ne ……non plus mes responsabilités. J’avais pris l’initia-…..­compenser des agents méritants et j’ai chargé ……t les servies compétents de le faire.

Le président. Mais pour ce qui concerne les primes accordées …..nnes étrangères à la douane ?…

Ben Salah. Elles avaient peut-être collaboré en donnant …..nements le directeur des douanes lui-même ne …. de primes. Quant aux fonds, ils ont été versés …. instruction de locaux et pour l’achat de véhicules.

Le président. De vos Mercedes !

Ben Salah. Je ne me souviens pas avoir demandé une Mer….. possible que mon cabinet ne m’ait pas informé ….nance des fonds, mais j’endosse la responsabilité…..

autres voitures de service, je suppose qu’elles …..soin d’être renouvelées.

Le Procureur général. Vous avez induit en erreur le pré…..­amment en lui cachant la situation économique …..de production.

Ben Salah. Si j’ai trompé le chef de l’État, c’est qu’on m’a ….trompé. J’ai souvent attiré l’attention du président au téléphone ou directement sur les difficultés qui ….

la voie sur laquelle nous étions engagés. J’ai é de bonne foi. J’ai demandé à ce que la Ban-…..iale envoie des délégations en vue de prendre …..ce de la situation économique. Elles sont venues …..se rendre compte sur place. A l’issue de leur ….. créé un bureau de contrôle. Il convient d’ajou­….. que toute entreprise étatique est dotée d’un ….. administration dans lequel tous les ministères sont ….. D’autre part, l’Assemblée nationale a toujours …..rant de la situation. Tout cela pour vous dire ….. de bonne foi !

Le Procureur général. Avez-vous dit au président que cer-…. coopératives étaient peu prometteuses ?

Ben Salah. J’ai dû le dire. La Banque agricole a de toute …..intérêt à traiter avec l’État plutôt qu’avec les par-…­

Le président. De toute manière, dès que vous avez pris …..du fiasco, vous avez décidé de changer d’orientation … faire appel au secteur privé.

Ben Salah. On ne peut, en juillet 1969, parler d’échec de ….s constituées en janvier 1969 !

Le Président. Je vais vous lire les dépositions de vos anciens ….urs à ce sujet. Votre directeur du Plan affirme …. un rapport dans lequel il écrivait : « Je dénon-… ­ques encourus si la coopération agricole devait …..lisée. »

Ben Salah. C’est très malheureux parce que c’est le con-….. qu’il m’a dit durant neuf ans. Quoi qu’il en …..ctionnaire est un fonctionnaire, je ne peux pas le ….. fait qu’approuver les chefs d’accusation comme …..de.

Le président. Il lit un passage de la déposition de Bahroun. ….mesures prises dans le cadre de la réforme économique …. m’ont jamais été proposées et n’ont pas été soumises à une étude. Ces mesures sont d’ailleurs très rarement étudiées et c’est l’ancien secrétaire d’État qui en décidait aux principales phases. »

Ben Salah. C’est un énorme mensonge. Comment peut-on élaborer des textes relatifs à la réforme économique sans que le directeur du Plan en soit informé ? D’autant plus que jamais M. Bahroun ne s’absentait des réunions où se prenaient les décisions de ces réformes. Mais peut-être que sa mémoire devient déficiente ! D’autant plus que Bahroun était un de mes plus proches collaborateurs. Je voudrais bien que M. Rassaâ donne son avis sur ce sujet !

Le président. Il était un de vos plus proches collaborateurs, il est donc à même de connaître la vérité. Il déclare d’ailleurs que le plan leur parvenait prêt de l’étranger, on n’avait même pas à le discuter.

Ben Salah. Et en tant que directeur du Plan, lui, qu’est-ce qu’il faisait pendant ce temps ?

Le président. citant Bahroun. « J’ai rédigé un rapport que j’ai remis à l’ancien responsable de l’économie. J’ai d’ailleurs rédigé un rapport dans lequel transparaissait la mauvaise posture des coopératives. » Ce rapport constitue un véritable témoignage…

Ben Salah. Un faux témoignage !

Rires.

Le président. poursuivant la lecture de la déposition Bahroun. « Il y a eu deux réunions, présidées par M. Ben Salah, pendant lesquelles nous avons fait état de la situation dangereuse des coopératives en insistant sur le fait qu’il fallait aider matériellement ces coopératives si on voulait les sauver. L’ex-sous-secrétaire d’État a décidé de généraliser la collectivisation alors que nos possibilités financières et humaines étaient très restreintes. Avant d’entamer le processus opérationnel dans le Nord, nous avons œuvré pour prendre en considération toute une série de facteurs. »

Ben Salah. Comment était-il au courant de l’état des coopératives du Nord ou autres, puisqu’on ne le consultait pas? Je crois que, depuis son entrée dans l’électricité, cet homme a subi un choc (rires dans la salle). Tout le monde attend que je sois en prison pour parler. Mais la mauvaise foi de ce monsieur est révoltante !

Le procureur général. Sur quoi vous êtes-vous basé pour généraliser le système coopératif ? Ben Salah. Sur des données de la science et sur la réalité. De toute manière, tous les autres responsables m’ont approuvé et ne m’ont jamais faussé compagnie. Il n’a jamais été question de catastrophe, mais plutôt peut-être de réviser la politique des emprunts. Je me réfère à un rapport de la Banque agricole, qui a consenti un emprunt pour encourager la généralisation du système coopératif dans le cap Bon.

Le procureur général. (il cite le rapport de la Banque centrale).

Ben Salah. Lisez la lettre officielle de la Banque centrale de Tunisie, pas seulement les conclusions. Donnez-moi la lettre en français, je ne veux pas d’une traduction.

Le procureur général. C’est un rapport de synthèse. (Ben Salah se retourne et fait un signe à son avocat. Me Miladi demande à voir la lettre.)

Le procureur général. (il lit la lettre demandée par Ben Salah. Dans cette lettre, le gouverneur s’inquiète et ….révoit qu’il y aura des dépassements de crédit de …..taux inflationniste – pour le financement du plan …..nal, une grave dégradation de l’économie pour ….0 au cas où on étendrait les coopératives. Le rapport …. « Toutefois, la BCT mettra tout en œuvre pour …. les options du plan »).

Ben Salah. (se retournant vers le public). « Toutefois, la ….. centrale mettra tout en œuvre pour satisfaire le ….

Le Président. (rappelant l’accusé à l’ordre en frappant du ….r sa table). Le débat est avec la cour, non avec le ….

Le Président. (il lit les dépositions de MM. Rassaâ et Ben ……qui avaient attiré l’attention de M. Ben Salah sur ……r de l’extension du système coopératif). Plus d’une ….assemblée nationale et le bureau exécutif ainsi que la …. ce n’ont pas été au courant ou étaient mis au ……. de vos décisions une fois qu’elles étaient prises. ……i n’ont-ils pas reçu par exemple une copie du rap-…..­la Banque mondiale ?

Ben Salah. Ce n’est pas vrai. Tous les ministres, de même …..arti, étaient au courant. Prenons l’exemple du projet ……ort de la Banque mondiale : nous en envoyions ….tous les ministères. Je l’ai reçu moi-même à l’Edu­-……nationale. Le deuxième a été également distribué ….. Le bureau politique aussi en a reçu copie.

Le Président. (il revient à la déposition de Bahroun qui ….:« Nous avons été plus d’une fois contraints de …..r le cadre de nos prérogatives afin de rendre compte …….Salah de certaines situations. J’avais demandé à …….ce département »).

Ben Salah. C’est un lâche. C’est à en rougir. M. Bahroun, ……ais, se débattait dans des difficultés financières. Il …….isait une maison et ses moyens devenaient trop….. Il me mettait au courant de sa situation et voulait ……er à la Banque mondiale.

Le Président. Nous ne rentrons pas dans ces considérations. …..reaux d’études économiques (toujours selon la dépo­-…..Bahroun) avaient un rôle important, notamment pour ……ulture. La plupart des études qui ne se rapportaient ……l’agriculture étaient faites par De Bernis. A chaque …… en Tunisie, ce dernier voyait le secrétaire d’Etat ……onomie en tête à tête.

Ben Salah. Les études étaient partagées entre les bureaux …….es, comme le BDPA, la Sogéta, l’ISEA, et une so-……ollandaise, qui s’occupaient chacune d’une zone tuni­…..

Je n’avais aucun rapport personnel avec les respon­….. de ces bureaux. C’était, comme je l’ai déjà dit, ……un qui s’en occupait. Je n’avais de relations person-…… ­qu’avec De Bernis.

Le Président. M. Seklani, statisticien, conteste votre ma­-…… de dresser les statistiques (…) Alors que vous veniez ……..ir une entrevue avec le président et qu’un de vos col­-…..ateurs s’inquiétait de ce que disait le président, un …..de renseignements vous a entendu répondre : …….sse-le, il radote ! »

Ben Salah. Et on m’a laissé quand même en liberté. Je ne …..rends pas ! Comment est-il possible qu’un ministre ……ire pareille chose sans qu’à l’Intérieur on ne prenne les mesures nécessaires ? Et vous dites que c’est un agent de renseignements qui a dit ça ?

Le président. Oui.

Ben Salah. Il s’exprime comme un agrégé d’arabe !… De toute façon, je m’élève contre de pareilles allégations et je défie quiconque de prouver qu’une pareille déclaration a été faite par moi.

Le président. Les terres du Nord ont donné de bonnes récoltes. Pourquoi donc les avoir enlevées à leurs propriétaires ?

Ben Salah. Ce n’est pas vrai ! En quittant la Tunisie, les colons avaient laissé leurs terres en mauvais état. Le président (il cite un discours de Ben Salah, qui date de mai 1969, dans lequel celui-ci déclare qu’aucune subvention n’a été versée aux entreprises).

Ben Salah. Des experts de la Banque mondiale ont séjourné en Tunisie pour juger de notre expérience. Ils ont affirmé que nos entreprises publiques étaient saines. Il ne s’agit pas de subventions, mais d’avances. Qui vous dit qu’on n’allait pas les rendre ? C’est une question de temps !

Le président. Pourquoi alors ne réunissiez-vous pas les conseils d’administration ?

Ben Salah. Il y avait seulement un léger retard. Ce n’était pas mauvaise foi de ma part ! Je reconnais qu’il existe des faiblesses. Mais nous étions prêts à les redresser, que ce soit pour les coopératives ou pour les entreprises, et cela, je l’ai toujours dit au président – les rapports en font foi. D’ailleurs, notre cas n’est pas exceptionnel. Cela: peut se produire même dans les pays industrialisés. S’il y avait vraiment faille, les experts en auraient fait état dans leur rapport.

Le président. Le président n’était pas au courant.

Ben Salah. Je ne faisais pas de rapports écrits au président, surtout depuis sa maladie : mes rapports étaient verbaux. En ce qui concerne les unités de production, le président Bourguiba dit lui-même dans son discours à l’Assemblée que c’est M. Lassad Ben Osman qui lui a soumis les statistiques et je ne pense pas, malgré son témoignage actuel, qu’il ait voulu tromper le président.

J’ajoute que Bahroun, Ben Osman et d’autres jugeaient comme moi qu’il y avait des points faibles dans la situation économique, mais ils ajoutaient qu’ils pouvaient les résorber. Ce qui a changé actuellement, c’est qu’ils mettent le doigt sur les points faibles sans rien ajouter !..

Le procureur général. Mais c’est vous le responsable de l’économie. Cette situation vous permettait-elle de déclarer devant l’Assemblée que seulement treize coopératives étaient déficitaires ?

Ben Salah. 1967 ! Cette déclaration date de 1967.

Le procureur général. Depuis, vous n’avez rien dit- votre silence prouve votre mauvaise foi. Ben Salah. Encore une fois, j’étais sûr de pouvoir y remédier.

….tion, pendant près de trois séances, d’une ….e témoins, l’intérêt du public s’est peu à peu ……  seul coup, la tension remonte avec la reprise ….noire de M. Ben Salah. Tous les policiers ….. de garde dans la salle. Le commissaire doit …..ur les faire évacuer.

…. déclare que l’interrogatoire de l’accusé portera …….t sur des rapports en provenance d’organismes ….. sur la situation économique en Tunisie, …….quels l’ex-secrétaire d’Etat à l’Economie ……..nné suite ou qu’il avait subtilisés.

…..n premier rapport de la Banque mondiale est ……ril, daté du 25 mars 1969. Un deuxième rap-…….­nque mondiale m’est parvenu le 25 août 1969.

……la situation, entre la Banque mondiale et …..stribué à tous les membres du Comité central.

Le Procureur général. Est-ce que vous avez envoyé le ……ort à M. Ladgham ?

……ui, je l’ai mis dans une enveloppe écrite de …..i envoyé à M. Ladgham ?

…..Vous mentez, il ne l’a jamais reçu.

…..oi je le lui ai envoyé.

…..Le rapport daté d’août précise :

………pérativisation généralisée vise essentiellement ……ques ;

……ques ont été pris d’accepter une diminution productivité ;

……que de cadres et de capitaux ne pouvait per …..ralisation.

Le Procureur général. Répondez par oui ou par non. Ce …..uerait-il votre optimisme et vos déclarations ?

…..président fut le premier à attirer mon attention sur le danger de la précipitation.

Le procureur général. Deux questions :

– Reconnaissez-vous que la généralisation des coopératives est due à votre propre initiative, aux fautes personnelles et erreurs que vous regrettez ?

– En ce qui concerne les avances de trésorerie, reconnaissez-vous que M. Rassaâ avait attiré votre attention sur le danger que cela représentait et avez-vous admis en être responsable en tant que secrétaire d’Etat aux Finances ?

Ben Salah. D’une façon générale, c’est ça ! Je fais cependant une réserve. Je précise que je n’essaie pas de fuir mes responsabilités, mais cette responsabilité s’explique et j’essaie de le faire. Je n’ai pas reconnu en bloc. J’ai reconnu les circonstances dans lesquelles les décisions ont été prises.

Le président. Vous avez donc admis que vous êtes le seul responsable de ces avances. Donc inutile d’y revenir.

Le procureur général. Vous reconnaissez que le président avait attiré le premier votre attention le 25 août 1969. Pourtant, dans l’interview du 6 septembre à la télévision, vous déclariez :« Nous ne faisions rien qui ne fût approuvé par le président de la République » et à « Panorama », en novembre 1969 :« C’était la politique du parti et du gouvernement et non la politique d’une personne !»

C’est donc après que le président vous eut prévenu que vous avez fait de telles déclarations !

Ben Salah. Il y avait dans ces déclarations des réactions d’amour-propre. Mais je déclare également que tout ce que j’avais dit n’était pas en contradiction avec M. Lad­gham. Il avait dit : « Pas de retour, pas de revirement ». Ces déclarations se basaient sur le discours de Bourguiba du 24 janvier 1969 à l’occasion du congrès de la coopération. Ce discours laissait la porte ouverte à des interprétations. Il faut dire que je n’ai pas rencontré de réticence ni dans le parti, ni dans les réunions, ni dans aucune organisation, ni à l’Assemblée nationale où j’avais fait un discours le 24 mai 1969.

Le procureur général. Je voudrais vous faire préciser un point. Il y a deux rapports de la Banque mondiale de mars puis d’août 1969. Il existe cependant un troisième rapport daté du 20 juin 1969 et que vous avez caché au président.

Ben Salah. Jamais de la vie !

Le procureur général. Ce rapport a été adressé par la Banque mondiale au chef du département intéressé.

Ben Salah. Avez-vous trouvé une copie de ce rapport dans mon département ? Moi, je ne l’ai jamais vu !

Le procureur général. Bahroun en parle !

Ben Salah. Jamais je ne l’ai vu ! Jamais.

Le procureur général. Pourtant, la Banque mondiale a reçue une lettre secrète qui répondait aux points soulevés par ce rapport. Comment donc étiez-vous au courant du contenu de ce rapport ?

Les questions et réponses se précipitent, le ton est violent des deux côtés, la salle est tout à fait silencieuse et tendue.

Ben Salah. Je n’ai pas reçu de rapport. Mais je connais les avis de la Banque mondiale qui m’ont été exposés au cours d’une réunion de travail que j’ai eue à Washington avec des experts et en présence de notre ambassadeur.

Le procureur général. Les remarques qui vous ont été communiquées par écrit ou de vive voix, les avez-vous transmises au président ?

Ben Salah. A Washington, j’avais rencontré M. McNamara qui m’a déclaré : « Je sais que vous suivez une politique moderne et, si vous suivez cette voie, il n’y a pas de raison pour qu’on émette des réserves. » J’en ai parlé au président et je lui ai dit que les experts étrangers avaient également émis des réserves au moment de la mise en place des réformes commerciales. Mais, malgré cela, on avait continué à nous soutenir. Il n’y avait donc pas de raison pour qu’il ne continue pas dans le secteur agricole. J’avoue que j’ai peut-être par mes paroles eu tendance a trop tranquilliser le président.

Le procureur général. M. Laghdam affirme cependant n’en avoir rien su.

Ben Salah. Il est impossible que je revienne d’un voyage à l’étranger sans en tenir au courant M. Ladgham.

Le procureur général. Vous avez vu, comme le public à la cour tous ces gens malheureux ! Vous ignoriez leur situation ?

Ben Salah. C’est malheureux, j’apprends autant aujourd’hui sur le malheur des gens autant qu’hier sur leur enthousiasme. Partout il n’y avait que fêtes, manifestations de joie.

Le président. Les gouverneurs ne vous disaient donc rien.

Ben Salah. Ils ne me disaient rien, à la rigueur des tiraillements par-ci par-là. Rien en tous les cas qui signale cette situation ! Si j’étais au courant du dixième de ce que je viens d’entendre aujourd’hui, j’aurais été un criminel à poursuivre.

Jeune Afrique N°492-9 juin 1970

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