Le Monde 7 octobre 1969
Les critiques de M. Mestiri contre le régime provoquent des remous
La déclaration faite samedi par M. Mestiri, ancien ministre, qui a démissionné du gouvernement tunisien en janvier 1968, et sa décision de se présenter aux élections législatives du 2 novembre (dont il a demandé en vain le report) contre les candidats du parti unique, ont provoqué des remous dans les milieux politiques tunisiens. Les journaux locaux n’ont cependant pas reproduit cette déclaration, et l’on n’avait pas enregistré lundi matin de réaction officielle. Seule l’agence Tunis Afrique Presse a sévèrement critiqué la prise de position de l’ancien ministre.
Voici les principaux passages de la déclaration remise samedi à la presse par M. Mestiri : « L’expérience des réformes de structures s’est soldée par un échec, de l’aveu même des plus hauts responsables du pays. Le coup d’arrêt salutaire qui a été donné a été accueilli avec enthousiasme par tous les citoyens, révélant les aspirations profondes des masses populaires.»
Malheureusement, l’explosion de joie qui a secoué le pays a fait place à la déception, à la suite des variations successives relevées dans les propos tenus, depuis un mois, et en diverses occasions, par les membres du gouvernement, et en dernier lieu, la courte déclaration faite par le président Bourguiba, le 30 septembre, à l’occasion de la présentation de sa candidature pour un nouveau mandat.
Par ailleurs, dans plusieurs domaines, des problèmes importants se posent et réclament une solution urgente ; la catastrophe nationale engendrée par les inondations, la hausse constante du coût de la vie, le grave déficit de la balance des paiements et de la trésorerie de l’Etat, le désordre régnant dans l’appareil administratif…
En même temps, et malheureusement, le chef de l’Etat, en raison de sa maladie, n’est pas en mesure d’assumer pleinement, et pour un temps indéterminé, les devoirs de sa haute charge…
Il importe d’ores et déjà :
1) De mettre fin à la confusion et à l’incertitude actuelles quant aux intentions réelles du gouvernement.
2) D’assainir le climat général en assurant pratiquement l’exercice des libertés publiques garanti par la Constitution et en libérant les détenus politiques, et notamment les jeunes universitaires condamnés pour délit d’opinion.
3) De créer rapidement le Conseil d’État et la Cour des comptes prévus par la Constitution.
4) De dresser sans tarder un bilan sincère et complet de la situation sur le triple plan politique, économique et social, et d’en tirer toutes les conséquences.
5) D’établir sur la base de ce bilan un plan de redressement précis dans le cadre de l’option socialiste définie par le congrès de Bizerte…
L’agence Tunis-Afrique-Presse a accusé samedi soir M. Ahmed Mestiri d’avoir des intentions « pour le moins pernicieuses » lorsqu’il demande le renvoi des élections présidentielles et législatives en arguant que le président Bourguiba, « en raison de sa maladie, n’est pas en mesure d’assurer pleinement et pour un temps indéterminé les devoirs de sa haute charge ».
« M. Mestiri, poursuit l’agence nationale tunisienne, cherche à entraver le fonctionnement normal des institutions et, ce qui est plus grave, tente de semer dans les esprits la confusion tant en ce qui concerne la charge la plus haute de l’Etat que la personne la plus vénérée de 1a nation…»
L’agence rappelle que l’ancien ministre avait adressé voici trois semaines un message au président Bourguiba lui exprimant, à la suite des assouplissements apportés à la réforme agraire, « son admiration devant cet acte de courage politique qui rallie autour de lui tous les militants sincères » et elle ajoute :
« Le revirement d’aujourd’hui ne peut être attribué qu’au dépit ressenti par M. Mestiri, dont la tentative de rapprochement avec le parti n’avait pas trouvé d’écho et qui, par conséquent, ne pouvait plus nourrir l’espoir de voir cautionner par le parti sa candidature aux élections législative »
A la suite de cette mise au point, M. Mestiri a fait à la correspondante du Monde à Tunis déclaration suivante :
« Je m’honore en effet d’avoir tenté le rapprochement avec le parti. Je suis l’un de ses plus anciens militants. Durant un mois se sont déroulées des tractations assez sérieuses entre les représentants du parti socialiste destourien et moi-même, et j’ai eu notamment des conversations prolongées avec des membres du bureau politique et des rapports plus ou moins directs avec le palais. Il a été question de bien des choses, y compris les nouvelles responsabilités à me confier. J’ai moi-même demandé que l’on procède par étapes. Pour la première de ces étapes, il était entendu que le bureau politique reviendrait sur la décision d’exclusion prononcée à mon encontre lors de ma démission du gouvernement. Mais on a exigé de moi une lettre d’excuses manuscrite. On a même été jusqu’à me proposer un texte rédigé. J’ai refusé : il s’agissait là d’une question de dignité de ma part. Je ne suis pas un aventurier, et j’ai suffisamment le sens de l’État pour ne pas porter atteinte à son prestige. Je n’ai exigé de personne que l’on se déconsidère, mais on ne doit pas l’exiger de moi. J’ai fait, il y a un mois, un geste que j’estimais suffisant et qui ne m’a pas coûté en adressant un télégramme, au chef de l’État. En ce qui concerne mon attachement au chef de l’État’ lui-même il est évident qu’il ne peut être mis en question, et lorsque je déplore qu’il ne soit pas en mesure d’assumer pleinement ses responsabilités en raison de son état de santé, on doit bien comprendre que c’est en considération du poids considérable dont le président pèse dans la vie politique, et publique du pays. Cette absence crée un vide, car il anime la vie politique au sens plein du terme, aussi bien en ce qui concerne l’orientation que la vie gouvernementale. »
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