Entretien Mokkadem et Raoul Duval – 6 Mars 1961

 

 M. Raoul-Duval, Chargé d’Affaires de France à Tunis, A M. Couve De Murville, Ministre des Affaires Etrangères.

Tunis, 6 mars 1961

Je réfère à mon télégramme précédent1.

Au cours de l’entretient, le Dr Mokkadem m’a parlé des conversations que le président

Bourguiba avait eues à Rambouillet avec le générale de Gaulle2. Il m’a dit combien avait été

« utile et fructueux ce contact entre les deux chefs d’Etat qui savaient dominer les

problèmes », et s’est félicité de « la large concordance de vues » qui s’était manifestée.

1-En ce qui concerne l’Algérie, le secrétaire d’Etat pensait que l’entrevue du 27 février avait permis de dégager des perspectives très intéressantes et que les choses paraissaient maintenant engagées dans la « bonne voie ». Sans les préciser, il a un moment donné évoqué les mesures d’apaisement qui pourraient être prises par le gouvernement français. Il a en outre laissé entendre que le président Bourguiba avait apporté en quelque sorte dans cette affaire « sa caution ».

2-Dans cette conjoncture, « il faut garder, a dit en substance mon interlocuteur, la tête froide et se méfier de toutes les informations qui peuvent être lancées par des pêcheurs en eau trouble, car il y en a ». Les choses paraissaient cependant, a répété le Dr Mokkadem», engagées dans une bonne voie »

3-Le secrétaire d’Etat aux affaires étrangères a indiqué que le gouvernement tunisien souhaitait que, parallèlement aux efforts entrepris pour régler le problème algérien, les quelques points du contentieux franco-tunisien encore en litige soient rapidement résolus.

Il n’a fait qu’une brève mention de l’affaire des terres3 :

Le gouvernement tunisien devait, a-t-il dit, rependre à bref délai l’attache de l’ambassade pour poursuive l’établissement des listes. Le Dr Mokkadem a déclaré également que « les affaires financières paraissaient en voie de règlement » et m’a demandé quand M. Bissonnet comptait rentrer a Tunis (mon télégramme nos 959-960).

Mais c’est surtout sur la question de Bizerte et sur le problème des frontières que le ministre insisté.

Sur le premier point, il reprit les propos qu’il m’avait précédemment tenus (mon télégramme nos 1010 à 1014). Sur le second, il a précisé que, come cela avait été dit à Paris, la revendication tunisienne avait deux aspects : il y avait d’une part la « situation » découlant des traités, c’est-à-dire en somme la reconnaissance des droits de la Tunisie sur Gareth el Amal. IL y avait ‘ d’autre part, le problème le plus vaste des « prolongements sahariens » de ce pays ; à cet égard, le gouvernement tunisien souhaitait que puisse se dégager une formule prévoyant une exploitation en commun des ressources du Sahara entre les pays riverains et la France qui avait «inventé le pétrole et fourni ses techniciens ».

Le Dr Mokkadem a conclu l’entretien en appelant mon attention sur l’importance que son gouvernement attachait à la solution de ces deux problèmes.

Par télégramme nos 1010-1014, également du 6 mars, non reproduit, le chargé d’affaires annonçait avoir fait état auprès du Dr Mokkadem de la décision prise par le gouvernement français de replier en France, avant l’échéance prévue par l’accord franco-marocain du 1er septembre 1960 (Sur cet accord, voir D.D.F., 1960-II, n°118), les écoles de l’Air françaises actuellement au Maroc, décision dont se félicitait le gouvernement tunisien. Le secrétaire d’Etat aux Affaires étrangères déclarait qu’il espérait que le gouvernement français s’engagerait dans la même voie à Bizerte : « Une fois le principe de l’évacuation des forces françaises admis, nous pourrions, disait-il nous entendre sur les modalités pratiques et sur un calendrier ». Le ministre tunisien laissait entendre qu’au cours des récentes conversations à Paris, le gouvernement français n’avait pas paru exclure une acceptation par la France de ce principe.2 Sur ces conversations, voir ci-dessus les nos 106, 109. 3 L’application du protocole du 13 octobre 1960 concernant le transfert d’une tranche de 100.000 hectares de terres agricoles se heurtait à la volonté du gouvernement tunisien d’inclure dans les listes de cession trente-sept propriétés d’une superficie globale de 18000 hectares qui n’avaient pas été offertes par leurs propriétaires.


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