En juin 1961, suite à la détention du pilote français aux frontières, Bourguiba insiste pour sa libération, déclenchant en même temps un embargo alimentaire et un contrôle aux frontières. Le GPRA ordonne à l’Etat major la libération après hésitation, Bomedienne obtempéra. Ce fut la rupture définitive avec le GPRA.
Le 15 Juillet 1961, l’EMG présenta sa démission, accompagnée d’un mémorandum adressé au président du GPRA.
(…)
Ce mémoire répond à deux préoccupations :
Premièrement : nous soussignés, Colonel Boumediene, Commandants Slimane, Mendjli, Azzedine, annonçons officiellement notre démission de nos responsabilités au sein des instances de l’Etat- Major Général ;
Deuxièmement : nous présentons les raisons et les circonstances qui ont appelé à cette décision :
Notre exposé est destiné à expliquer le sens de cette décision afin de couper court à toute interprétation tendancieuse. B est également destiné à montrer que cette décision, compte tenu de l’évolution politique et militaire, ne peut en aucun cas être considérée comme une fuite devant les responsabilités, bien au contraire, cette décision dévoile, à travers les problèmes, les nombreuses erreurs dangereuses commises au nom de la révolution, erreurs que nous ne pouvons en aucun cas taire.
La «réunion des dix» qui a couronné une crise ouverte, a permis de donner à certains d’entre nous, une image du cancer qui dévorait notre Révolution. Nous avons toujours estimé que l’enfer vécu par notre peuple n’autorisait personne parmi nous, à oublier les douleurs et les deuils qui ont frappé toutes let couches de nos masses. Nous avons toujours estimé que notre Révolution ne pouvait en aucun cas tolérer des concessions, des calculs personnels et des manœuvres méprisables qui se font quotidiennement au vu et au su de tous, des mauvais exemples de corruption et de pourrissement, ou de voir certains éléments dépenser l’argent de la corruption, sans que personne ne contrôle son utilisation.
Nous avons toujours estimé qu’il y avait des limites à ne jamais dépasser, quelles que soient les personnes et quelles que soient leurs arrières – pensées et leurs intentions.
Nous ne dévoilerons pas certains contacts qui ont eu lieu et qui n’avaient d’autres buts que de s’assurer du soutien qui permettrait d’aider à neutraliser l’EMG, considéré comme le seul obstacle qui se dresse devant la réalisation d’ambitions personnelles, car certains ont ainsi pu se placer au pouvoir, à la tête du peuple, pour ensuite renier totalement le principe essentiel à la base de notre Révolution, la « collégialité » qui a permis de faire des différents services de la Révolution, des appareils complémentaires et équilibrés.
Il est vraiment regrettable de constater que certains, pour couronner le tout, sont allés jusqu’à chercher le soutien de pays étrangers, afin de se renforcer n’ pour abattre l’un des appareils de la Révolution.
Par ailleurs, l’évidence du « Tout pour l’armée » qui a pris une signification sacrée à Tripoli, est simplement tombée en désuétude, et s’il reste dans les esprits, ce principe a été entaché d’erreur, pour qu’ensuite on applique l’inverse.
Effectivement, il semble que dans tous les cas, tous les remèdes ont abouti dans cette affaire à une politique d’entraves et d’étranglement.
Dans cette inconscience dérisoire, il y a l’inexistence de toute politique africaine vraiment cohérente, pouvant ouvrir aujourd’hui et demain, de larges horizons à l’Algérie et justifier l’admiration et le modèle qu’elle inspire dans notre continent.
Avons- nous vu nos ministres parcourir les Tropiques? Ont-ils davantage que nous des intérêts en Afrique ? Croyons-nous que les démonstrations que nous faisons dans les coulisses de Bourguiba et devant les leaders africains de passage à Tunis, suffisent pour que l’option africaine de notre pays soit convaincante ? Voyons-nous la même passivité et la même indifférence quant il s’agit de visites en Europe et en Amérique ?
Que l’on dise au moins que l’option occidentale de Tunis est une réalité que personne n’est en mesure de nier. Bourguiba a décidé de la trahison de l’Afrique et pousse au déchirement chaque fois que la voie le permet.
Personne ne sent mieux que lui la menace que représente l’Algérie progressiste pour son régime bourgeois et capitaliste. Qu’il agisse, cela ne nous étonnera guère. Il aura tout intérêt à le faire. La plus dangereuse trahison ne contredira pas son tempérament, ni ses convictions, ni sa doctrine, si on peut parler de convictions et de doctrine.
Le jeu est clair. Il est d’autant plus clair, s’agissant de l’Algérie. Rien n’a été épargné pour affaiblir notre force politique, notre unité et notre armée. Les complots sournois, les infiltrations, les jeux troubles, les manœuvres déjouées, les innombrables problèmes d’approvisionnement de l’ALN en vivres et en matériels, les vols, les agressions, les atteintes à l’honneur, les arrestations massives de nos militants, les tortures de nos soldats et de nos réfugiés. Ajouté à tout cela, Bourguiba se promet de pousser plus loin son harcèlement, dans le but de détruire notre Révolution. Et pourquoi hésitons-nous à dire la vérité, le but est la partition totale de notre pays. Il faut que notre mémoire soit si faible pour oublier les tentatives machiavéliques visant à assimiler confusément le GPRA au gouvernement tunisien dont le but est clair et connu.
La parade fut extraordinaire, rendons grâce à Dieu pour sa protection. Mais
Bourguiba n’abdiquera pas et pour quelques milliards et un morceau de
Sahara, il spéculera encore sans conscience ni scrupule, au dépens de notre
pauvre Algérie. Il humilie et méprise nos chefs et à travers eux, l’héroïque
Révolution de notre peuple, en acceptant la rencontre 1e Rambouillet dont il était attendu un double coup de poignard, circonscrire la brève conférence d’Evian, en applaudissant la trêve unilatérale, et reconnaître le rattachement dé notre Sahara à l’Afrique.
Cette politique n’a-t-elle pas commencé dans le puits d’Edjel? N’est-elle pas passée par «la paix des braves » et ce «Melun »? Nous, militants de la base, nous ne pouvons pas ne pas noter l’existence d’une contradiction évidente entre cette politique tunisienne du GPRA, faible et versatile, et la ferme position de nos frères emprisonnés à Targuant. Pour ne cacher, nous n’hésiterons pas à protester et à tout dévoiler puisque la situation, l’exige.
La tentative perfide de Bourguiba de mettre en valeur certains responsables, présentés comme les derniers survivants d’un courant historique, dévoile ses intentions sournoises et nous persuade qu’il tente, à travers eux, de problème ethnique, apparu réellement, de façon douloureuse dans notre pauvre Révolution.
Faut-il être un génie pour reconnaître l’origine régionale de tous ceux se sont lancés dans la compétition présidentielle. Voilà la réalité. Nous avons voulu montrer qu’un conflit dangereux et un différent profond portant sur les méthodes, nous amenaient toujours à nous opposer à notre gouvernement.
Nous avons dénoncé la capitulation continue et l’absence d’influence. Nous avons combattu le sectarisme et les blocs. Avant de connaître de plus près les personnes qui nous commandaient, nous pensions que les mesures qu’ils prenaient étaient toujours dictées par les intérêts supérieurs de la révolution. Nous pensions toujours, comme tous les militants, que des hommes placés à sa tête par un peuple héroïque comme le nôtre, ne pouvaient être que des hommes ayant des principes, droits, honnêtes, habités par la grandeur de leur mission forts dans leur détermination. Nous avons toujours pensé, qu’ils demeurent en toute circonstance, fidèles au serment de milliers de chouhada.
Hélas ! le réveil fut violent. On ne pouvait plus comprendre certaines situations. Nous avons vu une fois pour toutes, pourquoi les responsables ont laissé faire ceux qui dirigeaient leurs tirs de bat Bries contre l’Etat-major, dont le seul crime a été de reprendre une situation laissée à la dérive. Pour cela, ils ont laissé de côté les conflits, les règlements de compte, les détournements fonds de la Révolution, en bref, l’anarchie criarde laissée dans chaque poste de responsabilité où ils sont passés.
En ignorant ces vérités inscrites en lettres de feu et de sang, ils prétendent donner des leçons à ceux dont l’existence même incarne la discipline.
Nous devons toujours avoir en mémoire ceux qui, nombreux, ont été les victimes de l’indifférence de la direction. Devons-nous, aujourd’hui faire la démonstration de cette indifférence ? Doit-on parler de la situation douloureuse, dramatique, vécue dans l’Est du pays par des hommes que nous avons eu l’honneur de commander pendant dix sept mois ? Doit-on citer les dizaines, de milliers de chouhada, dont les tombes sont dispersées le long de la frontière algéro-tunisienne ?
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